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Proemio
J’ai depuis fort longtemps en ma possession un rare exemplaire de la traduction en françois du De Harmonia Mundi de Francesco Giorgi, œuvre magistrale transposée dans notre langue par Guy Le Fèvre de La Boderie en l’an 1578. Un temps fut où j’ambitionnai de la restituer dans notre idiome contemporain. Mais la lecture du vieux françois s’avéra des plus ardues, et la tâche de reformulation, plus encore.
Aussi ai-je fini par renoncer à ce dessein, laissant cette entreprise à d’autres, mieux instruits et plus compétents en la matière.
Cependant, j'avais tout de même entrepris de reformuler l’introduction, ce que je partage ici, dépouillé de mes annotations.
TROIS CANTIQUES SUR L'HARMONIE DU MONDE ENTIER
DE
FRANCESCO ZORZI
Les esprits illuminés par l'Esprit approuveront.
PROÈME
PRÉFACE À L'ŒUVRE SUR L'HARMONIE DU MONDE, SUBDIVISÉE EN TROIS PARTIES, DE FRANCESCO GORGI VÉNITIEN, DE L'ORDRE DES FRÈRES MINEURS, DÉDIÉE À CLÉMENT VII, SOUVERAIN PONTIFE.
Très Saint Père, non certes par désir d'ostentation ou en vertu de la chair et du sang, mais plutôt guidé par une bonne intention et par une inspiration encore meilleure, je m'apprête, au bénéfice de ceux à qui manque l'illumination, à allumer ce flambeau, quelle que soit sa valeur, non resplendissant d'une lumière nouvelle, mais reflet de cette lumière qui illumine tous les hommes, à apporter dans le grenier du Seigneur sa très riche récolte pour nourrir les pauvres, les rares ou petites gerbes laissées aux glaneurs par les moissonneurs, peut-être par volonté divine. De celles-ci nous avons battu un grain, qui certes n'est pas nouveau, mais l'antique réduit en forme nouvelle, travaillé d'une manière nouvelle, avec l'eau d'une source loin d'être épuisée, mais au contraire de la sagesse meilleure et salutaire : pour qui la boit, elle devient source de l'eau de celui qui monte à la vie éternelle. Ceux qui, les premiers, posèrent les fondements de la doctrine de l'Évangile, après en avoir bu et être devenus véritablement fils de Dieu, jugèrent folie la sagesse de ce monde, qui se confie en ses propres forces et aux trouvailles de l'industrie humaine, n'admettant aucune vérité, sinon celle que les adeptes de la sagesse humaine croient démontrer sur la base d'argumentations syllogistiques. Ces déductions articulées et profondément enracinées dans les perceptions des sens, toutefois, ne peuvent atteindre, comme l'enseigne Proclus¹, la nature simple et abstraite du Créateur. Du reste, même les effets de la nature inférieure, ses propriétés ou ses passions (comme on a coutume de les appeler) ne peuvent rien enseigner. Les causes des phénomènes, en effet, auxquelles ils croient pouvoir remonter par voie de conjecture avec leurs argumentations sont (de leur aveu unanime) profondément inconnues des mortels. En outre, ce qui provient des sens, qui sont trompeurs (comme l'a amplement démontré Pyrrhon d'Élis), ne peut nous offrir aucune vérité authentique. C'est pourquoi, quand il s'agit des réalités divines, qui doivent être puisées (comme l'affirme Platon³) par des révélations⁴, il faut laisser les argumentations complexes, et basées sur le témoignage trompeur des sens, à qui s'occupe des réalités sensibles, à qui a posé comme extrêmes confins de son savoir les réalités soumises au mouvement actuel, et à qui croit pouvoir tout construire et déduire à partir de quelques axiomes, tenus pour irréfutables. Ceux-ci, d'ailleurs, raillent ce qu'ils ne parviennent pas à discerner : les réalités divines qui sont d'autant plus inaccessibles que l'homme présume davantage avoir atteint une intelligence supérieure, puisque ces saintes vérités ne se montrent que grâce à la lumière divine, ne supportent pas l'étroitesse, aspirent au silence, repoussent les orgueilleux et les sages de ce monde, tandis qu'elles accueillent et nourrissent volontiers les petits et les humbles de cœur, se moquant des déductions humaines. Il n'existe, en effet, aucun principe de la divinité, ni rien qui la précède, par lequel elle puisse être démontrée. C'est pourquoi seule est licite, selon le témoignage de l'Aréopagite⁵, l'ascension vers les réalités divines, à travers le plus petit rayon des discours divins, filtré ici-bas, qui ne se laisse percevoir que par les esprits purifiés. Or, si ceux qui sont hors [du cône de lumière de la révélation], pour pouvoir cueillir une infime étincelle des réalités divines, s'emploient avec toute diligence à ôter ce qui peut obscurcir l'âme, combien plus ceux qui possèdent par la foi les paroles divines et les mystères des réalités sublimes devront-ils poursuivre avec le plus grand engagement la purification de l'âme ? Les brahmanes, en effet, ne consentaient à personne de participer à leur sagesse, s'il n'était abstème, végétarien, mais surtout étranger à tout vice, pour pouvoir ressembler, dans le rapport avec le divin, à ce même Dieu qu'ils cherchaient à comprendre. Tel était, chez les Indiens méridionaux, l'enseignement de Phraotès, si nous en croyons Philostrate⁶. De même, le pythagoricien Lysis, écrivant à Hipparque⁷, enseigne que ce n'est pas un signe de piété de communiquer les mystères de l'authentique philosophie, celle qui exhale le parfum du divin, à ceux qui ne peuvent même pas rêver de la purification de l'âme. Un œil obscurci et impur ne peut, du reste, fixer des objets trop brillants (comme Hiéroclès l'a déduit des témoignages des anciens qui ont parcouru de tels sentiers⁸). Celui qui vient à peine d'approcher les réalités sacrées, d'ailleurs, et n'a pas reçu une initiation complète, ne pourra saisir pleinement les divines illuminations : au premier réveil du sommeil, on ne peut fixer le regard sur ce qui est fulgurant. L'âme, donc, doit s'acclimater à la recherche de la bellezza et être purifiée graduellement, jusqu'à ce qu'elle reflète la lumière divine et que notre intellect s'élève en nous (selon l'expression de Plotin⁹) et fixe la méditation de l'âme sur le Père et sur la vraie lumière, la plaçant en absolue pureté parmi les contemplations intellectuelles du Créateur. Enfin (comme l'affirme Proclus¹⁰) qu'il joigne la lumière à la lumière, non celle qui forme l'objet des sciences, mais une lumière plus éclatante et plus intense. Par cette voie, Abraham, les princes de la lignée élue et les maîtres de l'antique sagesse ont atteint la rencontre avec Dieu : eux, rendus divins, ont été brusquement élevés pour cueillir cette lumière. Les Juifs, enfoncés dans les ténèbres, ont jugé cette expérience un scandale infiniment lointain de la nature des mortels et aux yeux des Gentils impies, elle a semblé une folie¹¹, mais aux yeux illuminés, elle est apparue une splendeur merveilleuse et l'écrin de tous les trésors, réceptacle de la sagesse parfaite. C'est pourquoi ils ont cherché à la défendre avec le plus grand soin et de tout leur cœur, même au prix de leur vie. À cueillir de tels trésors on n'arrive pas (selon le témoignage de Paul¹²) par la philosophie, doctrine trompeuse, transmise par les hommes et vaine, mais on peut y parvenir par cette lumière par laquelle, dans une ascension à travers des états croissants de luminosité, nous sommes enfin transformés en Son image, qui est ensemble la splendeur du Père et Son vrai visage. Or, puisque le nombre des illuminés capables de saisir cette lumière fulgurante est très réduit, j'estime que ceux qui désirent recevoir l'illumination doivent être guidés à travers les sentiers qui prédisposent à la perception de la lumière suprême. Ces sentiers conduisent, sans doute, à travers les réalités visibles vers les réalités invisibles de Dieu, au moyen d'un lien harmonique d'affinité, qu'elles entretiennent réciproquement, en consonance parfaite.
C'est pourquoi nous avons jugé opportun de nous arrêter, pour rendre plus aisé ce parcours, sur la consonance des deux mondes et de l'Archétype et, en outre, sur la condition des choses dans leur ensemble et de tout ce que les deux mondes (selon le modèle reçu de l'Archétype) embrassent avec une sublime harmonie. Si nous voulons accomplir cela, nous devons entreprendre un voyage à travers de multiples sentiers, puisqu'il est nécessaire de recourir à tous les instruments rendus disponibles par les diverses disciplines : la physique, l'arithmétique, l'astronomie, la géométrie, la musique et la théologie. Quand le traitement se concentrera sur les réalités soumises aux sens, les péripatéticiens nous viendront en aide avec leurs doctrines relatives au sensible ; quand nous étudierons les phénomènes célestes, nous nous baserons sur les argumentations des astronomes ; en examinant la concorde présente dans la nature, nous nous tournerons vers les philosophes occultes ; quand la discussion portera sur la variété des corps célestes et sur l'accord qui naît des différents aspects, des mouvements et des sons, elle sera résolue sans délai en recourant aux calculs des experts en musique ; quand nous chercherons à expliquer, de quelque manière que ce soit, les suprêmes intelligences et les arcanes qui résident au-delà du ciel, ayant mis de côté tous ces savoirs et les ayant déposés, pour ainsi dire, dans l'antichambre, nous nous tournerons vers les prophètes et les saints, qui ont reçu comme don principal la connaissance des secrets du Dieu vivant, ou bien nous invoquerons la Lumière elle-même, qui pour tous est source d'illumination et maîtresse incomparable. Si, toutefois, nous voulons être élevés, de quelque façon, de ces réalités visibles jusqu'aux sanctuaires du ciel et à ce qui dépasse le monde, nous parcourrons (ayant abandonné la pérégrination de l'erreur) une unique voie : le chemin des nombres, par lesquels ces réalités inférieures se montrent à qui les contemple dans leur connexion avec les mondes supérieurs, en vertu de leur très douce proportion harmonique et de la correspondance réciproque. Eux, opérant avec leur infinie puissance, offrent une voie facilement accessible. Toutes les choses, en effet, sont ordonnées par les nombres et ceux-ci sont tellement intrinsèques à tout que rien ne peut leur résister. À cause de leur parenté avec les mondes supérieurs, ils montent aisément au ciel et, d'autre part, ils ont une grande familiarité avec les réalités sensibles, c'est pourquoi ils se revêtent de diverses natures et de modalités d'être différentes. Le nombre, en effet, qui est (comme l'affirme Proclus¹³) essentiellement toujours le même, se présente toutefois autre dans la voix, autre dans la proportion entre les choses, autre dans l'âme et dans la raison, autre encore dans les mondes divins ; le même nombre qui est déterminé dans les réalités concrètes, se retrouve, détaché de toute détermination, très proche de Dieu. Thémistius¹⁴ et Boèce¹⁵, bien que se référant aux réalités inférieures, attribuent au nombre une importance telle qu'ils estiment que, sans le nombre, on ne peut philosopher correctement. Tous les pythagoriciens unanimement, et les académiciens, mais surtout les théologiens occultes, tissent à plusieurs reprises l'éloge des nombres et les vénèrent. Cela n'arrive pas par hasard puisque, comme le démontre le Babylonien Avenzoar : « Connaît tout de la juste manière celui qui sait compter comme il faut ». À ce précepte adhère Platon qui, dans l'Épinomis, affirme : si l'on ôtait le nombre de la nature des hommes, ils seraient privés de toute prudence et de toute science, l'âme, en effet, ne perçoit rien sinon par la raison et personne ne pourrait raisonner sur les choses en ignorant le nombre. Même les techniques, si l'on élimine le nombre, disparaissent complètement et surtout, il affirme que le nombre est cause de toutes les bonnes choses, mais d'aucun mal. C'est pourquoi celui qui est attiré par la béatitude, celui qui désire scruter les vérités célestes et divines, ne peut ignorer le nombre. Nous devons donc procéder le long des sentiers des nombres et selon l'ordre harmonique, si nous voulons monter de manière correcte et adéquate, passant par ces réalités inférieures, jusqu'aux [réalités] supérieures et à l'Être suprême. Toutes les choses, en effet, se correspondent par des accords réciproques mais divers, en relation avec divers nombres. Ceci a été matière du chant d'Orphée et, après lui, Pythagore l'a enseigné et c'est l'objet de la doctrine des stoïciens quand ils affirment que le monde a été fait en recourant à la science de l'équilibre. Platon le présuppose, Porphyre l'affirme avec de nombreux arguments, Jamblique le clarifie, Calcidius, Proclus et son maître Syrianus et, pour leur part, tous les membres de la famille pythagoricienne et académicienne l'interprètent et le confirment, estimant qu'il n'y a dans la nature, tant parmi les réalités créées que parmi celles futures, rien de plus originaire ni de plus approprié que l'harmonie par laquelle toutes les parties de ce mécanisme se trouvent disposées en équilibre symétrique. Les prophètes divins, toutefois, ayant laissé de côté les nombres inférieurs et s'étant approchés des nombres célestes et des mystères les plus secrets, ont joui de la contemplation de nombreuses vérités qui ne doivent pas être divulguées. Eux, ayant caché dans leur cœur la meilleure part, pour ne pas se souiller d'un crime¹⁸, n'ont offert à notre contemplation que quelques vérités, bien peu en vérité, dans la mesure du licite. Parmi ceux-ci, Isaïe affirme : Je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé¹⁹, c'est-à-dire toute cette demeure mondaine, dont le ciel est Son siège²⁰, remplie de la gloire du Créateur, qui resplendit dans la succession ordonnée des degrés en harmonie avec les modèles divins du Créateur lui-même. C'est pourquoi la correspondance entre l'Artisan et l'édifice et l'amour réciproque sont chantés à voix alternées par deux séraphins, qui proclament l'un à l'autre : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu Sabaoth, toute la terre est pleine de sa gloire²¹. À chaque chose est conférée une proportion harmonique par des nombres affins, selon lesquels toutes les choses sont disposées. Donc, absorbés dans ces mélodies et dans ces accords parfaitement entonnés, les prophètes célestes, laissant de côté les nombres matériels²² et leurs calculs, ont tourné leur méditation métaphysique vers les nombres meilleurs et divins, aux espèces et aux formes de la nature, voire aux modèles eux-mêmes, procédant à travers tous les genres d'idées selon un ordre connu seulement de ceux qui en ont eu la vision. C'est là que parvint Ézéchiel, collègue d'Isaïe, lorsqu'il contempla la cour divine, que les Hébreux appellent Merkavah, composée des ministres de Dieu, les séraphins, les ophanim et les créatures de sainteté, occupée à ramener toutes choses à l'harmonie. Au terme de la vision, il dit : leur aspect était comme הָאוֹפָן בְּתוֹךְ הָאוֹפָן haofan betokh haofan²³, c'est-à-dire une roue au milieu d'une autre roue, en nous en tenant pour le moment à la traduction usuelle. Cette demeure mondaine de forme ronde est en effet au milieu de la roue, ou de la sphère, de cette demeure intelligible et suprême, c'est-à-dire dans le Verbe, qui occupe le centre de ce cercle au-dessus du monde, selon ce qu'affirme Jean : ce qui a été fait, en lui était la vie²⁴, en lui, c'est-à-dire dans le Verbe, par lequel le Père crée et soutient toutes choses. Jean, véridique prophète, le vit sur le Parnasse aux deux cimes, c'est-à-dire dans la poitrine du CHRIST, sur laquelle se détachent les deux sommets de la nature divine et humaine. Identique fut l'objet de la vision de Moïse, qui le premier dévoila la vérité de ces mystères sur les cimes jumelles du Sinaï, d'où l'Arabie a reçu, je ne dirai pas le nom²⁵ mais le bonheur réel. De là, il a contemplé les sommets du visage de Dieu, au côté duquel il a souvent parlé, et, en même temps, les conséquences et les effets futurs. Toutefois, il a inclus ces vérités dans sa description prégnante et très riche de l'édifice du monde en recourant seulement à des énigmes profondément occultes, estimant que le vulgaire grossier et inexpérimenté fût indigne des arcanes des deux mondes. En effet, il n'était pas opportun de présenter directement la très haute lumière à la vue trop faible d'un peuple si épuisé qu'il ne pouvait regarder le visage de Moïse qui réfléchissait la lumière absorbée par le colloque divin, sinon en atténuant cette splendeur au moyen d'un voile²⁶ (afin de se conformer à ces regards myopes). Lui, donc, livra au peuple des mystères très profonds sous le voile d'une narration historique, réservant un espace au bénéfice des sages pour qu'ils puissent accéder, le voile écarté et le visage dévoilé, jusqu'aux recoins de la sagesse la plus profonde et de la doctrine suprême, afin que, de temps en temps, ils contemplent ouvertement cet écrin et que, parfois, ils pussent passer des réalités inférieures et sensibles aux vérités invisibles, en suivant le parcours des nombres affins et des proportions harmoniques, grâce auxquels ont été découverts, par les plus savants parmi les Hébreux et parmi les nôtres, les significations morales, allégoriques et anagogiques. Pour cette raison, les réalités inférieures sont guidées par les supérieures avec une efficacité d'autant plus grande que les réalités naturelles et divines surpassent en excellence celles que l'on atteint en vertu d'un savoir technique. En effet, Pythagore, au moyen de cette musique exécutée avec art, réussit à calmer (selon le témoignage de Cicéron et Boèce²⁷) un jeune homme saisi de folie, simplement en changeant de mélodie. En recourant à la musique, Terpandre, Arion de Méthymne et Isménias de Thèbes guérirent de nombreux Lesbiens et Ioniens, souffrant de maladies très graves. Le son des trompettes et des cors enflamme les âmes des soldats et des chevaux. Dion²⁸ raconte, à propos d'Alexandre le Macédonien, qu'il était parfois si excité par les accords de Timothée, qu'il se jetait sur les armes comme un fou. La cithare de David²⁹ fut capable d'apaiser la fureur du roi Saül tandis qu'il s'approchait des saints mystères, de sorte qu'il fût ramené à la tranquillité primitive, après avoir chassé le démon mauvais qui, miné par cette harmonie, ne put supporter un accord authentique, c'est-à-dire ce qui lui est maximalement adverse. Pour cette raison, j'estime que les chants et les sons harmonieux aient été introduits dans les cérémonies sacrées par ce même prophète royal, véritable restaurateur du culte, et par ses ancêtres, qui instruisirent ces mystérieux liens entre Dieu et la nature. Ainsi, quelle puissance et quel plaisir doit-on croire intimement lié à l'accord entre les réalités naturelles et celles divines ? C'est pourquoi la vérité, qui est l'adéquate correspondance des choses, est dotée d'une efficacité considérable, même si elle est déployée parmi les réalités inférieures ; elle donne à celui qui la saisit un plaisir accompagné d'une joie extraordinaire. Parmi les mondes divins, ensuite, elle réjouit l'âme et l'émeut de telle sorte qu'elle semble se transformer en autre chose, en particulier dans les hymnes de David lesquels, bien que répétés, ne sont jamais ennuyeux pour les âmes bien formées, et sont même très souvent source de plaisir et de réconfort. En eux, en effet, sont chantés, comme dans une sorte d'accompagnement musical de toute la loi, les accords harmoniques entre les deux mondes et l'Archétype, et la consonance restituée par le Messie à toutes choses et, enfin, avec quel doux sentier vers le Créateur il rend parfaite sous tous les aspects son œuvre. Non seulement ce prophète royal, mais tous les symboles offerts par les saintes pages furent disposés de telle manière, pour que nous puissions admirer en eux la vaste connaissance de l'authentique harmonie et de la divinité et l'étude profonde des autres doctrines. Qui en effet pourrait nier que tous les prophètes possèdent l'art de l'authentique poésie ? Qui ne reconnaîtrait en Moïse, Ézéchiel et Jean un sens du rythme d'une perfection géométrique ? Et encore en Moïse, Ézéchiel, Daniel et Jean, qui pourrait ne pas saisir les proportions numériques, et dans les hymnes de David, dans l'Épithalame de Salomon et dans toute la narration des deux Testaments, comme dans un unique chant de noces, qui pourrait ne pas entendre un très doux accord de musique parfaite ? Une musique, dis-je, encore plus sublime que celles d'Orphée, d'Amphion et d'autres semblables à ceux-ci ; d'ailleurs, recueillant partout, et parfois auprès d'eux, tu seras imprégné de la vraie philosophie qui les imprègne tous deux, pourvu que tu aies appris à philosopher correctement. Celles-ci, donc, sont les guides que nous devons suivre, ceux-ci les maîtres à imiter, sur leur modèle nous devons façonner tout ce que nous construisons.
En vérité, Très Saint Père, comme il a été transmis par beaucoup, Mercure, Aglaophème, Orphée, Hésiode, Pythagore, Archytas, Platon, Parménide, Charondas, Zalmoxis, Lycurgue, et tous ceux qui, sur leurs traces, ont philosophé ou légiféré de manière éminente, tirèrent le noyau de leur tradition précisément de là³⁰. Nous avons jugé bon d'admettre aussi leurs opinions (parce que l'harmonie, dans la mesure du licite, est complète) seulement jusqu'au point où il nous a semblé qu'elles concordaient avec le dessein harmonique que nous avons décidé d'édifier ; chaque fois, cependant, qu'elles s'avéreront dissonantes, elles devront être écartées comme des cordes inutilisables. Ainsi nous chercherons à rendre dans notre latin, suivant les traces des anciens pères, comme ils ont transmis entre autres les noms des choses, mais surtout les noms du Créateur lui-même, et parfois de la manière la plus fidèle possible, afin que nous puissions exprimer avec la plus grande clarté les profondes significations qui se cachent dans la forme des lettres qui les composent, au point de faire considérer à Origène que ces vérités, traduites dans une autre langue, ne conserveraient rien de leur puissance³¹. C'est pourquoi je ne dois pas être jugé comme un auteur superficiel ou en quête de bizarreries, si je recours à de telles paroles originaires, ou à des formes très proches d'elles. Il ne peut non plus être tenu pour pléonastique et inutile, s'il semble que l'on saisisse de fréquentes répétitions, car de telles répétitions sont fonctionnelles à des contextes différents, chaque fois que cela est nécessaire. Des réalités apparemment hétérogènes, en effet, doivent être rapprochées de nombreuses manières différentes, pour que se démontre l'équilibre harmonique qui les gouverne et que de chaque élément singulier, une fois invoquée l'inspiration de l'Esprit divin et de l'Artisan du tout, se dégage la très douce consonance de toutes les œuvres du Seigneur.
Nous avons cru pouvoir embrasser entièrement cet accord en trois cantiques modulés sur l'octave, chaque cantique sera composé de huit tons, formant ainsi une octave parfaite. Dans le premier cantique, nous ferons résonner la consonance réciproque entre les deux mondes et entre eux et l'Archétype. Dans le second, nous traiterons de la correspondance de toutes choses avec la personne du Messie et de l'accord restitué par le moyen de ce même Christ à toutes les choses brisées et rendues dissonantes par le péché. Le troisième cantique aura pour objet l'homme qui doit être rappelé, par le moyen du lien profondément musical qui implique toutes les choses, à l'harmonie avec tout ce qui se lie en lui et avec l'Artisan, auquel tout doit adhérer, ou mieux, être uni. Dans ces trois cantiques (si je ne me trompe) est contenu l'édifice entier des deux mondes et la synthèse de nombreuses disciplines.
En vérité, Père saint, bien que toutes les nouveautés, selon la maxime proverbiale, soient agréables³², toutefois ces mêmes nouveautés tendent le plus souvent à susciter la jalousie, elles offensent, en effet, les yeux myopes, non accoutumés à une lumière nouvelle et c'est pourquoi, en proie à l'aversion, ils commencent à détruire ce qu'ils n'ont pu percevoir de manière adéquate. Je n'ignore pas, donc, d'être exposé à de nombreux critiques sévères et enclins à la calomnie tant face à une nouvelle manière de procéder, que face à quelques étincelles, déjà cachées sous la cendre ou récemment jaillies de la pierre à feu. Pour cela, Très Saint Père, nous avons jugé opportun de soumettre cette œuvre, quelle que soit sa valeur, et toutes les autres que nous sommes en train de composer avec l'aide de Dieu, et aussi tout ce qui se trouve au stade de projet, à ton jugement, à celui des pères de ton très aimé collège et de tous ceux qui, ayant laissé de côté la lumière obscure, ont tourné leur attention (dans la mesure du licite) vers la lumière suprême et fulgurante. Je ne pourrais considérer, Père saint et clémentissime Clément, notre œuvre, quelle qu'elle soit, comme véritablement harmonieuse si elle n'était rendue douce par ta vertu et ton autorité pour tous les membres du corps de l'Église, devenant une nourriture saine pour ceux qui s'en nourrissent. C'est pourquoi je te l'ai dédiée, à toi qui détiens dans ce corps universel l'office du Christ, en qui et pour qui sont toutes choses. Comme toute chose reçoit du Christ, Verbe de Dieu, la vie et la beauté, ainsi cette œuvre, qui se propose de traiter la totalité des choses, puisse-t-elle vivre grâce à toi heureusement, et être belle, comme un banquet serein et joyeux pour tous.
Salut à toi, Père souverainement bienheureux, pour très longtemps.
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