Voyelles et sefiroth

Georges Lahy Par Le 26/02/2024 1

Les voyelles de l’Unification

Dans le Portique 32 du Pardès Rimonim, relatif à la Kavanah (l'Intention), Moïse Cordovéro établit une hiérarchisation des voyelles associées aux quatre lettres du Nom divin Yhwh, en vue de s'aligner sur les 10 sefiroth. Cette pratique d'évocation des lettres du Nom est caractéristique de la Kabbale de Safed, souvent nommée Nouvelle Kabbale ou Kabbale Lourianique. Ces vocalisations s'inscrivent dans le processus désigné par Yeħoudim (Unifications). Cependant, Moïse Cordovéro a écrit ce Portique à un âge précoce, bien avant l'arrivée d'Isaac Louria à Safed, ce qui suggère que cette méthode préexistait à leur époque.

Voici l’attribution des voyelles au Nom Tétragramme en fonction des niveaux sefirotiques, dans le chapitre II du Portique 32 :

והדבור באדני שהיא מלכות. אבל המחשבה באין סוף שע"י מתייחדים שתי מדות אלה ואין בכל התפלה מה שירמוז אליו אלא הכונה שיכוון האדם בו שהוא הכל והוא המיחד המדות והמשפיעם וזהו בסוד העצמות המתפשט בתוך הספי' ועי"כ כח הספירות לפעול וע"י כך יתייחסו אליו הפעולות כמבואר בשער עצמות וכלים. ואולם בענין הספירות אין הכונה שיכוין האדם בספירות כך שידמה ענין הספירות כי זה אי אפשר כדפי' אבל הכונה הוא שהספי' יש להם עשר שמות של שם בן ד' כדפי' בשער שם בן ד' והם מתחלקים בנקודתם ואלו הן

Et la parole est en Adonaï qui est Malkouth. Cependant, la Pensée est dans Éin-Sof, par lequel ces deux Middoth s'unifient, et il n'y a rien dans toute la prière qui se réfère à Lui, sauf la Kavanah que l’humain doit avoir envers Lui, qu'Il est tout, et qu'Il est Celui qui unifie les Middoth et les abondances. Ceci réside dans le secret de l'Essence qui se déploie à travers les sefiroth, et ainsi les sefiroth ont le pouvoir d'agir, et par cela les actions « Lui » seront attribuées, comme expliqué dans le « Portique Essence et Réceptacles ». Toutefois, en ce qui concerne les sefiroth, la Kavanah ne consiste pas à ce que l’humain se concentre dans les sefiroth de manière à les imaginer, car cela est impossible, comme expliqué, mais la Kavanah est que les sefiroth sont dix noms du Nom en quatre lettres, comme expliqué dans le « Portique Le Nom de Quatre Lettres », et ils se distinguent selon leurs points-voyelles, de la façon suivante :

כתר עליון יהוה ונקודו כולו קמץ מורה על הכתר והד' אותיות שבו מורות על ע"ס שבו כדי שלא יהיה פרוד ח"ו. ושם החכמה יהוה וכלו פתח והוא שם שבו יתגלה החכמה. וגם הבינה יש לה שם יהוה וכולו צירי והוא שם שבו יתגלה הבינה. וגם החסד יש לו שם יהוה וכולו סגול והוא שם שבו יתגלה החסד. וגם הגבורה יש לה שם יהוה וכולו שבא והוא שם שבו יתגלה הגבורה. וגם לת"ת יש לו שם יהוה וכולו בחולם. וגם לנצח יש לו שם יהוה והוא נקוד כלו חירק והוא שם שבו מתגלה הנצח. וגם להוד יש לו שם יהוה והוא נקוד קבוץ שפתים. וגם ליסוד יש לו שם יהוה והוא כלו בשורק. ולמלכות י"ל שם יהוה והוא בלי נקוד כלל אלא פשוט ולפי קבלתה כן נקודתה:

Kéter Êliyon (Suprême Couronne) est Yahavah [יָהָוָה], et sa ponctuation est entièrement composée du qamats, indiquant le Kéter, et les quatre lettres en lui indiquent les 10 sefiroth en lui, afin qu’il n’y ait pas de séparation, Dieu nous en préserve. Le nom de la Ħokhmah est Yahavah [יַהַוַה], uniquement avec pataħ, et c'est le nom avec lequel la Ħokhmah se révèle. Ainsi la Binah a le Nom Yéhévéh [יֵהֵוֵה], entièrement avec un tséréi, et c'est le nom avec lequel la Binah se révèle. De même pour la Ħesséd, il y a le Nom Yéhévéh [יֶהֶוֶה], entièrement avec un ségol, et c'est le nom dans lequel la Ħesséd se révèle. Pour la Guevourah, il y a le nom Yeheveh [יְהְוְה], entièrement avec un sheva, et c'est le nom dans lequel la Guevourah se révèle. Pour Tiféréth, il y a le Nom Yohovoh [יֹהֹוֹה], entièrement avec un ħolam. Ainsi, pour Netsaħ, il y a le Nom Yihivih [יִהִוִה], entièrement vocalisé avec un ħiriq, et c'est le nom avec lequel Netsaħ se révèle. Pour Hod, il y a le Nom Youhouvouh [יֻהֻוֻה], et il est vocalisé avec un qoubouts. Pour Yessod, il y a le Nom Youhouvouh [יּהּוּה], entièrement avec un shourouq. Et pour Malkouth, il convient d’associer le Nom Yhwh sans aucun point-voyelle, mais plutôt simplement, et selon sa réception (qabbalah), ainsi sera vocalisation.

Les voyelles dans la langue hébraïque, qui ne figurent pas dans l'écriture mais sont indiquées par des signes diacritiques, jouent un rôle crucial dans la prononciation et la signification des mots. Dans le contexte kabbalistique, elles sont considérées comme les flux, ou les émanations, qui animent les lettres (considérées comme les réceptacles ou les corps) pour former la Création. Cette idée reflète la croyance que les lettres hébraïques et leurs combinaisons, y compris avec les voyelles, ont un pouvoir créateur et spirituel.

Moïse Cordovéro ne donne pas d’explication explicite quant à la raison que lui font associer telle voyelle avec telle sefirah. La question de savoir si l'attribution des voyelles au Nom Yhwh par Moïse Cordovéro dans son Pardes Rimonim est arbitraire ou suit une logique est complexe et sujette à débat. L'absence d'explication claire dans le Pardes Rimonim laisse ouverte la possibilité que Cordovéro ait choisi les voyelles de manière intuitive ou selon des critères personnels. Il existe des variations dans les attributions des voyelles aux sefiroth entre différents kabbalistes, ce qui relativise l'idée d'une logique unique et absolue, car la symbolique des voyelles et leur lien avec les sefiroth peuvent être interprétés de différentes manières, laissant place à une certaine subjectivité.

Certains kabbalistes avancent que les voyelles choisies par Cordovéro correspondent à des significations symboliques et des attributs des sefiroth. Par exemple, le qamats, attribué à Kéter, est une voyelle ouverte et ronde, symbolisant la perfection et l'unité de la première sefirah. De même, le tséréi, attribué à Binah, est une voyelle longue et accentuée, symbolisant la profondeur et la compréhension de cette sefirah. D'autres maîtres se focalisent sur la structure phonétique des Noms divins. Le choix des voyelles pourrait influencer la prononciation et la vibration du Nom, créant ainsi une résonance particulière en lien avec chaque sefirah. Il est fort est possible que Cordovéro s'appuie sur des traditions kabbalistiques antérieures qui associaient déjà certaines voyelles à des sefiroth spécifiques, mais il ne cite pas de sources.

Si l’on tente d’en tirer une logique :

Kéter / Qamats : Kéter représente la Volonté divine suprême, l'origine de tout et la source de l'émanation divine. Le Qamats, une voyelle longue et profonde, peut symboliser l'expansion infinie et la totalité de l'émanation divine, évoquant la plénitude et la complétude de Kéter.

Ħokhmah / Pataħ : Ħokhmah est associée à l'impulsion initiale de la Création, le point de départ de la manifestation divine. Le Pataħ, une voyelle simple et ouverte, symbolise l'ouverture (pétaħ) de la Sagesse divine et le début (réshith) de la manifestation.

Binah / Tséréi : Binah est le principe féminin, représentant l'entendement et la Compréhension, où l'émanation divine commence à prendre forme. Le Tséréi, avec ses deux points, peut représenter la dualité, la réception et la transformation de l'impulsion initiale en structures discernables.

Les autres attributions (Ħesséd, Guevourah, Tiféréth, Netsaħ, Hod, Yessod, Malkouth) suivent une logique similaire, où chaque voyelle reflète les qualités et les fonctions de la sefirah correspondante. Par exemple, le Ħolam pour Tiféréth, qui représente la Beauté et l'équilibre, peut symboliser l'illumination et la clarté centrale dans l’édifice séfirotique.

La voyelle pour Malkouth est particulièrement intéressante, car elle est indiquée comme étant sans voyelle, reflétant peut-être la nature réceptive de Malkouth comme le récipient final de toutes les émanations supérieures, et son rôle en tant que lien entre le divin et le monde matériel.

Ainsi ces attributions ne seraient alors pas seulement des associations arbitraires mais reflèteraient bien la nature dynamique et interactive des forces divines dans la Création. Elles offrent une méditation sur la manière dont l'Infini (Éin Sof) se manifeste dans le fini à travers les sefiroth, illustrant le processus par lequel la Lumière divine descend dans le monde pour le créer, le maintenir et le perfectionner.

Il est difficile de trancher définitivement la question de l'arbitraire ou de la logique derrière l'attribution des voyelles au Nom Yhwh par Cordovéro. L'analyse révèle des arguments pertinents dans les deux sens. Il est probable que la réponse réside dans une combinaison de facteurs, incluant la symbolique, la structure phonétique et la tradition kabbalistique, tout en laissant place à une part d'interprétation subjective.

Il serait tentant de chercher des réponses dans le Portique 28 du Pardès Rimonim, intégralement dédié aux voyelles. Cependant, cela ne s'avère pas totalement fructueux. Moïse Cordovéro y propose une introduction à l'explication, enrichie par l'établissement de liens avec les autres sefiroth, ainsi que par la subordination de certaines voyelles à d'autres, complexifiant ainsi le sujet.

Le Portique 28 explore la symbolique profonde des voyelles en mettant l'accent sur leur origine divine et leur rôle dans la structure spirituelle de la Création. Chaque voyelle est associée à des aspects spécifiques de la divinité et de la Création. Ces associations ne sont pas seulement théoriques mais influencent également la manière dont les voyelles agissent comme des vecteurs de spiritualité, modulant la signification des mots et des prières. Les voyelles sont présentées comme des entités vivantes, ayant chacune un rôle unique dans le maintien de l'équilibre cosmique et dans la révélation des aspects cachés de la divinité.

Le texte du Portique explore la symbolique complexe et les qualités des voyelles hébraïques à travers une analyse kabbalistique profonde. Voici un résumé très simplifié des symboliques et qualités de certaines voyelles mentionnées. On y constate que l’association avec les sefiroth n’est pas aussi systématique qu’avec le Nom Yhwh, mais s’étend aux autres sefiroth.

Tseréi et Ségol

  • Tseréi est associé à l'union des deux grands luminaires, Tiféréth et Malkouth, dans leur aspect grand et identique, symbolisant l'Union divine et l'équilibre universel. Cette union est le produit de l'ascension de Tiféréth vers Ħesséd et de Malkouth vers Guevourah, reflétant l'union des sources divines par la force de Guevourah et Guedoulah. Donc, Tséréi ne concerne pas uniquement Binah.
  • Ségol sert le Tseréi et représente la révélation du point central caché dans le Tséréi. Ce point central, entre Guevourah et Guedoulah, est Tiféréth, symbolisant l'union et l'équilibre. Le Ségol est donc associé à la révélation et à l'Unité divine.

Qamats et Pataħ

  • Qamats symbolise Kéter illustrant le mystère, la fermeture, et la dissimulation de la Source divine. Il est aussi associé à Ħesséd, indiquant la Générosité divine et la propagation du Shefâ. Le Qamats représente l'union de Tiféréth et Malkouth à travers le secret du Vav de Shourouq, indiquant l'union et la fermeture des émanations supérieures.
  • Pataħ est le serviteur du qamats, symbolisant Tiféréth seul. Il est associé à la révélation, l'ouverture, et la générosité de Malkouth devant le Roi, révélant les bénédictions divines. Le Pataħ symbolise aussi Guevourah et Ħokhmah, illustrant la séparation pour la propagation des bénédictions divines et la révélation de la Source divine supérieure, respectivement.

Shourouq et Sheva

Pas vraiment détaillés dans le Portique, il est généralement entendu que :

  • Shourouq représente l'unité et la manifestation divine, souvent associé à la Shekhinah, dans le monde.
  • Sheva est vu comme le point de transition ou de potentialité, pouvant représenter le silence ou l'aspect inexprimé de la parole divine, une préparation à l'émanation ou à l'expression.

Cette orientation des voyelles révèle une profonde interconnexion entre la langue, la cosmologie, et la spiritualité dans la Kabbale, où chaque voyelle porte en elle une dimension de la Réalité divine et de l'ordre universel.

À ce stade, je ne peux fournir davantage d'informations sur les relations entre les voyelles et les sefiroth. Toutefois, je garde espoir de trouver un traité où un kabbaliste éminent aura détaillé et expliqué la logique sous-jacente à ces connexions entre voyelles et sefiroth. Dans l'Antiquité, face à une question sans réponse ou une situation énigmatique, on exposait le problème sur la place publique, espérant qu'un passant puisse offrir une solution. De la même manière, si un internaute parcourant cet article possède des connaissances supplémentaires ou connaît une étude pertinente, je l'invite à partager ses découvertes dans les commentaires ci-dessous.

Commentaires

  • Catherine19

    1 Catherine19 Le 05/04/2024

    Merci Georges pour cet enseignement précieux qui permet de mieux saisir les voyelles.

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