L’exploration d’un petit traité sur la prophétie, œuvre d’un kabbaliste quasi-inconnu nommé Yaâcov meSégovia, m’a plongé dans une recherche. J’ai finalement pu l’identifier comme étant Yaâcov ben Yaâcov haKohén, un personnage bien plus discret que ses illustres contemporains. Il est grand temps de raviver sa mémoire, d'autant plus que son influence transparaît dans les enseignements d’Abraham Aboulâfia et de Joseph Gikatilla, ainsi que dans la rédaction du Séfer ha Zohar.
Connu principalement sous le nom de Yaâcov meSégovia, ce kabbaliste du milieu du XIIIe siècle sillonna les communautés juives d’Espagne et de Provence, à la recherche de fragments d'écrits et de traditions kabbalistiques anciennes, précieusement conservés par des maîtres isolés. Il fit notamment un long séjour en Provence avec son frère Isaac b. Jacob ha-Kohén, avant de s'éteindre à Béziers (vers 1270-1280). Yaâcov meSégovia fut l’un des piliers du renouveau gnostique au sein de la kabbale (ha-maâmikim), reconnu et loué comme un véritable « kabbaliste » par Abraham Aboulâfia lui-même.
En contact avec les derniers membres du cercle kabbalistique provençal Iyyoûn, Yaâcov prétendait avoir reçu de nombreuses révélations sous forme de visions. Ses écrits, affirmait-il, étaient tous liés à Métatron, la première création divine, et exploraient les mystères entourant cette figure, notamment son lien avec les Sitréi Torah et les mitsvoth.
Si l’œuvre de Yaâcov meSégovia reste méconnue, son principal disciple, Moïse b. Salomon b. Siméon de Burgos, connut une renommée bien plus grande. C’est d’ailleurs principalement grâce à ce dernier que des informations sur le maître nous sont parvenues.
Auteur du Séfér ha-Orah (Livre de l'Illumination), Yaâcov meSégovia voit ses mystères intégrés au Guinath Égoz de Joseph Gikatilla, sans que la source n'en soit pour autant mentionnée.
Les visions mystiques de Yaâcov demeurent empreintes d'une grande obscurité, voilées par l’utilisation de guimatrioth et de tséroufim. Sa Kabbale, très différente de la théorie des Sefiroth en vogue à son époque, témoigne, à travers ses écrits inspirés, de l’existence d’une doctrine kabbalistique théosophique. Elle tisse également un lien entre les Ħassidéi Ashkenaz, les kabbalistes de Provence et les futurs représentants de la « Kabbale prophétique », bien antérieure à Abraham Aboulâfia.
Afin de redonner vie à ses paroles, voici ma traduction de son plus court traité sur la prophétie (je n'ai pas encore tout référéncé) :
Le Secret de la Prophétie [סוד הנבואה]
par Rabbi Yaâcov meSegovia
Les coutumes de la prophétie sont nombreuses. Le voyant s'élève de degré en degré [מדריגה למדריגה] par la vue et par l'ouïe. Et voici ses niveaux :
- Au commencement, il voit le visible et entend l'audible, et sa force grandit et se multiplie à partir de sa petitesse.
- Et sur le visible et l'audible, il s'applique à méditer pour en connaître l'origine.
- Et lorsqu'il a atteint cela, son âme précieuse s'efforce de s'approcher de la lumière de la lumière de la vie [אור באור החיים] pour puiser aux sources de l'intellect [מעיני השכל], pour voir et entendre ce qu'il n'a pas vu.
- Et si le désir s'intensifie dans son âme et la méditation dans sa pensée à ce sujet, cela éteindra sa volonté, comme celui qui fixe du regard la lumière de ses yeux pour voir la force de la lumière du soleil qui aveugle ses yeux sans aucun doute.
De même, celui qui s'obstine à regarder la Lumière de l'Intellect [אור השכל], plus forte et puissante que ce qui lui convient, en vient à éteindre la bougie de son âme [נר נשמתו].
Et voici l'ordre de celui qui prépare son âme à marcher sur ce chemin :
Au commencement, il médite pour connaître les raisons des choses (saveurs) révélées [טעמי הנגלות], et ensuite il progresse lentement pour savoir et contempler par lui-même jusqu'à ce que sa connaissance se fortifie en lui et se mêle à la lumière de son âme [אור נשמתו] d'une part de la lumière supérieure [האור העליון] qui éclaire l'obscurité de l'âme [חשכת הנפש] montrant les choses futures, comme un miroir qui révèle une vision. Et toutes les choses vues à travers lui n'ont pas une seule force parmi les choses vues. Car celui qui s'applique à méditer le jour, son cœur est éveillé même pendant le sommeil, absorbé par ses pensées.
Et dans les songes de l'âme et sa force, il voit des rêves, des visions, des prophéties et entend des voix. Et la méditation cachée dans les songes de l'âme et sa force qui n'a pas fini de s'éclaircir, c'est ce qu'on appelle un rêve [חלום], et c'est un soixantième de la prophétie [אחד מששים בנבואה]. Et toute parole qui tombe dans la méditation du cœur, dans le discours de la bouche et dans la distraction de l'esprit, et non pas par la voie de l'habitude, c'est une petite prophétie [נבואה קטנה], comme ils ont dit : « Celui qui se lève et qu'un verset biblique lui vient à la bouche, c'est une petite prophétie » (Talmud Brakhoth 55b).
Et c'est de cette manière que la prophétie a été donnée aux enfants qui n'ont pas de connaissance et dans le cœur et les paroles desquels rien ne s'établit, si ce n'est de la vérité de l'âme [אמתת הנפש]. De même, les fous qui sortent du droit chemin de la raison, la prophétie leur a été donnée, car dans tout ce qui s'établit dans leurs paroles, ce n'est pas de leur propre chef, mais des songes de l'âme et de sa force, de la vérité de sa guidance [אמתת הנהגתה].
De même, les sages qui s'appliquent aux paroles des opinions pour explorer la chose depuis son origine, parfois la fin de leur connaissance ne leur suffit pas. Et sur le chemin où ils se trouvent, un esprit de connaissance [רוח דעת] se posera sur eux pour leur faire connaître l'origine de leurs paroles, pour les fonder sur le contenu de leur recherche. Et tous les temps ne sont pas égaux, tout dépend de la pureté du cœur [זכות הלב], des habitudes de l'homme et de sa reconnaissance qu'il reconnaît dans son âme la vérité de la chose cachée dans la méditation de son esprit et qu'il n'a pas besoin d'autre preuve. Et c'est à ce sujet qu'ils ont dit : « Nous reconnaissons les paroles de vérité » [נכרין דברי אמת] (Talmud Sotah 9b).
Et voici ce qui est écrit :
« S'il se lève au milieu de toi un prophète, ou un songeur de songes, et qu'il te donne un signe ou un prodige, et que le signe arrive… même s'il te dit : 'Le soleil est au milieu du ciel', tu ne l'écouteras point, car c'est l'Éternel, ton Dieu, qui vous met à l'épreuve. » (Deutéronome 13:2) Ce n'est pas qu'il dise une chose fausse, qui n'est pas vraie, mais « car c'est HaShém… qui vous met à l'épreuve » [כי מנסה], c'est-à-dire que le prophète vous met à l'épreuve, et il vous met à l'épreuve, car il aurait dû répondre : « Je ne mentirai pas dans ta foi, et je ne leur annoncerai pas cela pour changer ta foi, même s'il est en mon pouvoir de leur donner un signe et un prodige ». Et comme il aurait dû répondre et qu'il n'a pas répondu, il est clair qu'il prend plaisir à la chose. Et tous ceux qui le suivent sont éprouvés dans son épreuve. Et celui qui ne sait pas diriger les choses vers leur vérité, un seul esprit peut l'égarer, comme avec l'esprit de mensonge [רוח נבות] dont il est écrit : « Et je fus un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes » (I Rois 22:22). Et il dira : « Attaque donc ! » (Idém) Et tu pourras aussi sortir et faire de même, sortir de ma présence, parce qu'il est dit : « Celui qui profère des mensonges ne subsistera pas devant mes yeux » (Psaumes 101:7). Et c'est ce qui est écrit : « Tes prophètes ont eu pour toi des visions vaines et fausses » [נביאיך חזו לך שוא ותפל] (Lamentations 2:14). Et il y a une prophétie qui est vraie et que le prophète ne reconnaît pas, comme il est écrit : « Et Ninive se repentit, et il ne sut pas si c'était pour le bien ou pour le mal. » Et lorsqu'ils se repentirent, il fut clair que c'était pour le bien qu'elle se repentit.
Et celui qui habitue son âme aux voies de la prophétie doit se sanctifier dans sa foi, comme il est écrit : « Et les Maskilim resplendiront comme le Zohar du firmament, et ceux qui auront enseigné la justice, comme les étoiles, à toujours et à perpétuité » [והמשכילים יזהירו כזוהר הרקיע ומצדיקי הרבים ככוכבים לעולם ועד] (Daniel 12:3). Et purifier son corps [ולטהר גופו], comme il est écrit : « Purifiez-vous et sanctifiez-vous ». Et se purifier les mains [ולנקות עצמו], comme il est écrit : « Celui qui a les mains innocentes ». Et purifier son cœur [ולברר תוכו], comme il est écrit : « L'homme au cœur pur ». Et il est écrit : « Car Yhwh, ton Dieu, marche au milieu de ton camp… que ton camp soit saint, afin qu'il ne voie chez toi rien d'impur, et qu'il ne se détourne point de toi ». Car celui qui se conduit de cette manière et ne se purifie pas, l'esprit d'impureté [רוח טומאה] se mêle à l'esprit de pureté [רוח טהרה]. Et personne ne se purifie au point de parfaire sa plénitude, et ses songes et ses paroles sont mélangés jusqu'à ce qu'il soit contraint, égaré et trompé. Et c'est par ce chemin que les enfants d'Israël se sont sanctifiés lorsqu'ils ont reçu la Torah, ils se sont sanctifiés par la sainteté [מן הקדש בקדושה] supérieure, par neuf sanctifications [תשע קדושות] avec lesquelles le kohén se sanctifie.
סוד הנבואה מרבי יעקב משגביא
סוד הנבואה מרבי יעקב משגביא ומנהגי הנבואה רבים, והצופה מתעלה ממדה למדה בראיה ובשמיעה, ואלו מדותיו, בתחלה רואה הנראה ושומע הנשמע, וכחו הולך וגדל ומתרבה ממיעוטו, ועל הנראה והנשמע מוסיף להרהר לדעת מוצאם, וכאשר השיג זה נפשו היקרה מתאמצת לאור באור החיים לשאוב ממעיני השכל לראות ולשמוע אשר לא ראה, ובהתחזק רצון בנפשו והרהור בדעתו על זה ימנע חפצו, כמו שמסתכל באור עיניו לראות תקפו של אור השמש שמכהה עיניו בלי ספק, כן המוסיף להסתכל באור השכל התקיף והחזק יותר מן הראוי לו בא לכבות נר נשמתו:
וזה סדר המתקן נפשו ללכת בדרך זה, בתחלה חושב לדעת טעמי הנגלות, ואחר כך מתנהל לאטו לדעת ולהסתכל מעצמו עד אשר יתחזק דעתו אצלו ויתערב באור נשמתו ממין האור העליון המאיר חשכת הנפש המראה עתידות, כמראה המגלה רואיה, וכל הנראים מתוכה ואין כח אחד מן הנראים, כי המוסיף להרהר ביום דבק במחשבות אף בעת השינה לבו ער, ובחלימות הנפש וחזקתה רואה חלומות ומראות וחזיונות ושומע קולות, והרהור הגנוז בחלימות הנפש ובחזקתה שלא נגמר להתברר הוא הנקרא חלום, והוא אחד מששים בנבואה, וכל דבר הנופל בהרהור הלב ובדבור הפה ובהסיח הדעת ושלא על דרך הרגילות הרי זו נבואה קטנה, כמו שאמרו השכים ונפל פסוק לתוך פיו הרי זו נבואה קטנה, ועל דרך זה נתנה נבואה לקטנים שאין בהם דעת ואין דבר מתישב בלבם ובדבריהם אלא מאמתת הנפש, וכן השוטים היוצאים משיטת הדעת נתנה להם נבואה, כי בכל דבר המתישב בדברים אינם מדעתם אלא מחלימות הנפש וחזקתה מאמתת הנהגתה, וכן החכמים מתנהגים בדברי הדיעות לחקור הדבר ממוצאו פעמים לא יספיק להם גמר דעתם, ובאותו הדרך אשר הם עליה יערה עליהם רוח דעת להודיעם מוצא דבריהם להעמידן על תוכן המחקר, ולא כל העתים שוות, הכל לפי זכות הלב ומנהגי האדם והכרתו שהוא מכיר בנפשו אמתת הדבר הגנוז בהרהור דעתו ואינו צריך לראיה אחרת, ועל זה אמרו נכרין דברי אמת:
וזהו שכתוב כי יקום בקרבך נביא או חולם חלום ונתן אליך אות או מופת ובא האות, אפילו אומר לך חמה באמצע הרקיע לא תשמע אליו כי מנסה ה' אלקיכם אתכם, כי שקר דבר אינו אמת אינו אומר, אלא כי מנסה, כלומר מנסה הוא הנביא ומנסה אתכם, שהיה לו להשיב לא אשקר באמונתך ולא אודיעם זה לשנות אמונתך, אף על פי שיש בידי לתת להם אות ומופת, וכשהיה לו להשיב ולא השיב נכר שהוא מתרצה בדבר, וכל הנמשכים אחריו מתנסים בנסיונו, ומי שאינו יודע לכוין הדברים לאמתתם רוח אחד יכול להטעותו כמו ברוח נבות שכתוב בו והיתי רוח שקר בפי כל נביאיו ויאמר תפתה וגם תוכל צא ועשה כן, צא ממחיצתי, משום שנאמר דובר שקרים לא יכון לנגד עיני, וזהו שכתוב נביאיך חזו לך שוא ותפל. ויש נבואה שהיא אמת ואין הנביא מכירנה כמו שכתוב ונינוה נהפכת ולא ידע אם לטובה אם לרעה, וכשחזרו בתשובה נתברר שהיא נהפכת לטובה:
והמרגיל נפשו בדרכי הנבואה צריך להתקדש באמונתו כדכתיב והמשכילים שכל טוב באמונתם יתקדשו קדש, ולטהר גופו כדכתיב וטהרו וקדשו, ולנקות עצמו כדכתיב נקי כפים, ולברר תוכו כדכתיב ובר לבב, וכתיב כי ה' אלקיך מתהלך בקרב מחנך וגו' והיה מחניך קודש ולא יראה בך ערות דבר ושב מאחריך, שהמתנהג בדרך זה ואינו מטהר עצמו רוח טומאה מתערב ברוח טהרה, ואין אחד מתטהר בגמר מלואו וחלומותיו ודבריו מעורבבים עד הוא אנוס שוגג ומוטעה, ובדרך זה נתקדשו ישראל כשקבלו התורה נתקדשו מן הקדש בקדושה עליונה בתשע קדושות שהכהן מתקדש:
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