Sitréi Othioth

Georges Lahy Par Le 31/08/2024 0

Chaînes d’énergie de la Création

Le petit traité kabbalistique anonyme, Sitréi Othioth (Mystères des lettres), fait partie de la mouvance de la génération post-zoharique. Le style d’écriture et la terminologie utilisés suggèrent une origine médiévale. L’hébreu employé est caractéristique des textes kabbalistiques de cette période. Il reflète une synthèse de différentes écoles kabbalistiques, ce qui rend son attribution à une mouvance spécifique complexe. Toutefois, certains concepts, comme l’union mystique entre les aspects masculins et féminins de la Divinité et l’idée de la « Réparation du monde » (Tiqoun Ôlam), peuvent indiquer une influence de la Kabbale lourianique, développée autour d’Isaac Louria au XVIe siècle. Soit ces dernières idées étaient déjà dans l’air avant Louria, soit le texte a été retouché et appartient à la plume de plusieurs auteurs de différentes générations.

Cela dit, les « Mystères des Lettres » (Sitréi Othioth [סתרי אותיות]) nous guide dans cette exploration mystique, en se concentrant sur le Nom Yhwh et les « chaînes » d’énergie spirituelle qui le composent.

Le symbolisme des lettres

Comme dans la plupart des traités kabbalistiques, les lettres hébraïques sont ici présentées comme des symboles chargés de puissance et de mystère. Chaque lettre est liée à une « chaîne » d’énergie spirituelle qui la relie aux autres lettres et à des niveaux supérieurs de réalité : « Chaque chaîne monte avec une inscription » [כל רתיכא ורתיכא סלקא באת רשימא]. Ces chaînes créent un réseau complexe qui unit tous les éléments de la Création. La « chaîne d’énergie spirituelle » est ici nommée « retik’a » [רְתִיכָא], dérivé du verbe « ratakh » [רָתַךְ] qui signifie « souder » ou « lier ». Dans ce contexte kabbalistique, il désigne le lien énergétique qui unit les lettres hébraïques entre elles et les connecte aux forces spirituelles supérieures.

De plus, chaque lettre est un portail, un point d’accès à un niveau spécifique de la réalité divine : « Chaque lettre se tient sur l’existence de cette chaîne qui lui est révélée » [כל את ואת קאים על קיומיה דההוא רתיכא דאתחזי ליה]. Ainsi, en contemplant et en méditant sur les lettres, nous pouvons accéder à des dimensions cachées de l’existence et nous rapprocher de la Source infinie.

Les aspects féminins et masculins de la Divinité

Le texte explore la dualité fondamentale de la Divinité, représentée par ses aspects masculin et féminin, indissociables et complémentaires. L’aspect féminin est dépeint comme un réceptacle, un espace vide symbolisé par l’expression « Disponible et indisponible, révélé et non révélé, pas du tout révélé. Dans ce mystère, tout existe pour être orné » [זמין ולא זמין אתגלייא ולא אתגלייא ולא אתגלייא כלל ברזא דא קיימא כלא לאתעטרא]. Cette image évoque la Shekhinah, qui attend d’être « remplie » et « ornée ».

Cet ornement, cette « plénitude », provient de l’aspect masculin, symbolisé par la « Lumière éclatante » (Nahir nahirou). Cette lumière représente l’énergie créatrice, la source de vie et de conscience qui émane du divin. Elle est associée au dynamisme, au mouvement, comme l’illustre le passage : « Quand l’huile est là, sa lumière monte et descend et se soutient sous la lettre Yod » [כד משחתא קיימא נהיר דא וסלקא ונחתא ואבתמיךך תחות את יוד]. La lumière « soutient » et active le féminin, par la lettre Yod.

L’Union mystique entre ces deux aspects est au cœur de la Création et de l’illumination spirituelle. Le masculin, en tant que donneur, transmet sa lumière et sa force vitale au féminin, qui la reçoit et la manifeste. Cette dynamique est illustrée par l’image des « Palais qui se connectent » [כד אתחברן היכלין בהיכלין], métaphore de l’Union intime entre les deux polarités divines. C’est à travers cette Union que la Création se déploie et que la Lumière infinie se répand dans tous les niveaux de la Réalité.

Les niveaux de la réalité

Le texte dévoile une vision multidimensionnelle de la Réalité, où notre monde physique n’est qu’un niveau parmi tant d’autres. « La première lettre monte et descend, elle s’élève vers la couronne des cent mondes » [את קדמאה סלקא ונחתא סליק בעטרוי לגבי מאה עלמין]. Cette phrase suggère l’existence de « cent mondes », c’est-à-dire d’innombrables niveaux de réalité spirituelle, chacun associé à des degrés de conscience et de proximité avec la Source infinie.

Ces mondes supérieurs sont habités par des forces et des entités spirituelles, et ils renferment une « Lumière éclatante » (nahir nahirou) qui symbolise la Connaissance divine et la Plénitude spirituelle. L’objectif de l’humain est de s’élever à travers ces niveaux de réalité pour atteindre l’Union mystique (Dveqouth).

La connaissance comme clé

Pour accéder à ces mondes cachés et à la lumière divine, la connaissance ésotérique est essentielle. « Heureux celui qui entre et sort et connaît les voies du Saint, béni soit-Il » [זכאה חולקיה מאן דעאל ונפק וידע אורחוי דקב"ה]. Cette phrase souligne l’importance de la quête de la Sagesse (Ħokhmah) et de la Compréhension (Binah) des mystères de la Création.

L’étude de la Torah est présentée comme un moyen privilégié pour atteindre cette connaissance : « Ouvre (ondoie) mes yeux et je contemplerai les merveilles de Ta Torah » [גל עיני ואביטה נפלאות מתורתך]. La Torah, dans cette perspective kabbalistique, n’est pas seulement un code de lois, mais un texte saint qui renferme les mystères de la Création et les clés de l’illumination spirituelle.

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