Savlanouth – La Patience

Georges Lahy Par Le 08/01/2025 0

Un Chemin Kabbalistique vers la Paix Intérieure

La tradition kabbalistique accorde une place centrale à la vertu de la patience, désignée en hébreu par Savlanouth [סַבְלָנוּת]. Cette qualité n’est pas simplement un trait de caractère; elle constitue un véritable axe de transformation spirituelle. Elle ouvre la voie de la sérénité au milieu des épreuves et permet de pressentir cette «saveur du Monde-à-Venir» évoquée par les Sages. Les extraits ci-dessous, issus notamment du Lekoutéi Moharan de Rabbi Naħman de Breslev, illustrent comment la patience, unie à la confiance en la Providence, contribue à la guérison de l’âme et à la compréhension profonde du sens de l’existence.

Reconnaître que tout vient d’En-Haut

 « Lorsquune personne sait que tout ce qui lui arrive est pour son bien, elle atteint un avant-goût du Monde-à-Venir. On y parvient notamment en ouvrant son cœur et en se confessant devant un maître de Torah. On réalise alors que tout ce qui survient tout au long de la vie est à son avantage, car tout provient de lamour que le Saint, béni soit-Il, lui porte. Telle est la perfection de la Connaissance : ne pas se cabrer, ne pas se laisser troubler par les épreuves, mais croire que tout est pour son bien éternel. » (Likoutéi Moharan I, 4:1,3,4).

La première porte d’accès à la patience consiste à comprendre que chaque événement de l’existence – même le plus difficile à supporter – procède d’une Kavanah: le bien de l’âme. Selon lenseignement kabbalistique, parvenir à cette conscience, cest déjà goûter un reflet du Ôlam haBa. Cette perspective nest pas pour autant synonyme dinaction; elle invite plutôt chacun à accueillir lidée que les tumultes de la vie peuvent devenir autant doccasions de progresser en sagesse et en humilité. La patience, en ce sens, manifeste la foi la plus élevée: maintenir la confiance même lorsque les circonstances semblent contraires.

L’amertume comme voie de guérison

 « De même que tous les remèdes physiques sont amers, ainsi la guérison de l’âme passe par une certaine amertume : les obstacles à surmonter et les souffrances à endurer. Pourtant, lorsque HaShém voit quune personne aspire à revenir à Lui mais ne peut pas supporter une trop grande amertume proportionnelle au poids de ses fautes , Il se montre miséricordieux et rejette loin toute cette culpabilité afin quelle ne subisse que ce quelle peut supporter pour sa guérison. » (Likoutéi Moharan I, 27:7)

Cette image illustre la notion que, pour se soigner intérieurement, il est parfois nécessaire de traverser des moments difficiles. La « bile » (marah) et l’âpreté de l’existence, tout comme un remède, peuvent avoir un goût douloureux, mais visent la restauration de la santé spirituelle. Cependant, la Kabbale souligne la Compassion divine : nul ne reçoit des épreuves au-delà de ses forces. De ce fait, la patience n’est pas de la résignation, mais bien la capacité à dépasser l’amertume en gardant à l’esprit l’objectif de la guérison ultime.

L’harmonie de l’âme et la paix avec autrui

 « Une personne doit être en paix avec ses propres traits de caractère, de sorte quils ne soient pas en conflit les uns avec les autres. Elle doit constamment chercher la Shekhinah dans tout ce qui lui arrive et ne pas se laisser troubler par quoi que ce soit. De même, il est indispensable daimer son prochain et de chercher à voir le bien en lui, même lorsquil nous rend la vie difficile. » (Likoutei Moharan I, 33:1)

Cet enseignement rappelle que la patience concerne autant la relation à soi qu’aux autres. L’équilibre intérieur repose sur la certitude que toute chose, bonne ou mauvaise en apparence, est porteuse d’un appel à l’élévation. L’individu qui cultive la patience s’efforce ainsi de conserver son calme au milieu de la tempête et de juger favorablement autrui, dans l’espérance de maintenir l’unité et la paix.

Concentrer son regard sur le but ultime

 « La raison principale pour laquelle une personne souffre de ses difficultés est quon lui ôte la compréhension ; elle oublie le but ultime, qui est entièrement bon. Si elle parvenait à le garder à lesprit, elle verrait que ces épreuves nont rien de mal : elles sont, au contraire, porteuses dun grand bien. » (Likoutei Moharan I, 65:3)

Selon la Kabbale, le manque de «Daâth» (Connaissance, Conscience profonde) conduit à percevoir les épreuves comme injustes ou absurdes. En revanche, dès lors que lon focalise son regard spirituel sur le «taħlith» (le but ultime, l’horizon), la souffrance nest plus seulement un fardeau: elle devient une occasion de purification et de rapprochement. Là encore, la patience savère être la clef: cest elle qui tempère la réaction immédiate et procure la clarté permettant de discerner la Kavanah bienveillante derrière les vicissitudes.

La joie dans l’épreuve et la fécondité de l’étude

 « Lorsquune personne accepte ses souffrances avec la joie qui convient, elle mérite alors de recevoir de nouveaux éclaircissements dans l’étude de la Torah. » (Likoutei Moharan I, 27:7)

L’un des paradoxes essentiels de la patience kabbalistique réside dans l’idée que les épreuves, acceptées dans la joie et avec confiance, peuvent devenir les ferments d’une vision renouvelée. Une âme patiente accède à des ħidoushéi Torah (innovations, révélations dans l’étude): autrement dit, l’élargissement du cœur et de lesprit rend possible de nouveaux approfondissements, tant sur le plan intellectuel que spirituel.

Patience et humilité : discerner la miséricorde cachée

 « Supporte et reçois avec amour toutes les épreuves qui te parviennent, car sache quau regard de tes actes, Lui agit encore avec une immense Miséricorde envers toi. » (Likoutei Moharan I, 165)

Cette exhortation n’invite pas à la culpabilisation mais à l’humilité. Chacun porte en lui des imperfections qui exigent une certaine purification. La kabbale enseigne qu’il est plus juste de considérer toute peine sous l’angle d’une miséricorde contenue: « Dieu n’envoie pas plus de poids que l’on peut supporter. » C’est précisément la patience, unie à la confiance, qui permet de faire émerger la Compassion divine dans l’expérience quotidienne.

Persévérance et foi profonde

 « Il est nécessaire dexercer la longanimité, cest-à-dire de ne pas céder à la colère ou à limpatience quelles que soient les circonstances. Rien ne doit troubler ne serait-ce quun peu son service spirituel ; il faut endurer toute chose et maintenir le cap. On y parvient grâce à une foi totale. » (Likoutei Moharan I, 155)

La patience englobe ici aussi bien le refus de la colère que la constance dans l’épreuve. Celui qui cultive l’«arikhouth apayim» (la longanimité) considère les obstacles comme des invitations à renforcer sa foi. Chaque difficulté devient alors un exercice spirituel permettant de déployer davantage de confiance.

Voir la « Lumière » dans l’obscurité

 « Il faut savoir que dans toutes les souffrances et difficultés du monde se trouve une forme douverture. Si lon y prête réellement attention, on peut la discerner, et ainsi supporter tout ce qui nous arrive sans jamais seffrayer. » (Likoutei Moharan I, 195)

L’enseignement souligne que l’épreuve renferme souvent, en elle-même, une lueur de soulagement ou de sens. Le regard patient cherche cet espace de clarté et s’appuie sur lui pour avancer. Au lieu de s’abandonner au désespoir, on se tourne vers la possibilité d’extraire du positif de la situation.

S’élever grâce à l’opposition

 « Lorsquune personne rencontre de lopposition ou des persécutions, cela vise précisément à la rapprocher davantage de Lui. Plus la souffrance est intense, plus on est contraint de chercher aide et refuge auprès du Créateur. » (Likoutei Moharan II, 13)

Cet enseignement kabbalistique révèle un paradoxe: la persécution ou ladversité peuvent devenir des instruments de rapprochement avec le Divin. En sappuyant sur la patience et la foi, on fait de la souffrance non pas une cause de chute, mais un tremplin d’élévation spirituelle.

L’incontournable nécessité de la patience en ce monde

 « Il faut savoir que chaque être humain doit traverser de nombreuses souffrances et épreuves. Il n’existe aucun moyen de s’y soustraire, si ce n’est de se réfugier en HaShém, béni soit-Il, et dans Sa Torah… C’est pourquoi la patience est absolument nécessaire à chacun. » (Siħoth HaRan, 308 / dans l’esprit de Likoutei Moharan)

Cette affirmation conclut avec force que la condition humaine sur terre est inévitablement jalonnée d’épreuves. Le seul «abri» sûr se trouve dans la connexion au Divin. Apprendre la patience, cest ainsi reconnaître que les tumultes de la vie ne sauraient être éliminés, mais quils peuvent être transcendés grâce à la foi, à la prière et à l’étude.

Guimatria

Un fait remarquable vient encore souligner la profondeur de Savlanouth [סַבְלָנוּת] : sa guimatria, qui est de 548, se retrouve dans plusieurs expressions porteuses de sens. Ainsi, 548 est la valeur numérique de Ohévéth ha-qahal [אֹהֶבֶת הַקָהָל], « amour de la communauté »), Misheħar [משחר], « aurore », mais aussi « noircir », Siman limshiaħ [סִימָן לִמְשִׁיחַ], « signe messianique », Sapaħath [סַפַּחַת], « psoriasis » et Tsaïr lenatséaħ [צָעִיר לְנַצֵּחַ], « jeunesse éternelle ».

En se penchant sur ces mots, on constate que tous contiennent les deux pôles fondamentaux de l’expérience humaine : d’une part, la souffrance et ses manifestations (le psoriasis, qui traduit parfois un malaise intérieur), d’autre part, la promesse d’une aube nouvelle (l’aurore et le signe messianique), ainsi que l’amour de la collectivité et la perspective d’une vitalité qui traverse le temps. La patience rejoint ici ce carrefour de contraires en révélant que l’épreuve—même si elle « noircit » l’horizon—peut être sublimée, et qu’elle ouvre la voie vers un renouveau (celui de l’aurore), vers l’espérance (le signe messianique) et vers l’élan vital que nourrit l’amour mutuel. Les liens secrets entre ces différents termes témoignent de la profondeur du langage : Savlanouth, en tant que vertu, se fait point de convergence entre la fragilité humaine, l’élan vers le divin et la relation au prochain. Elle offre un chemin de renaissance perpétuelle, conférant à l’âme ce souffle inaltérable qui, en quelque sorte, la rend « jeune pour toujours ».

Pour conclure

La Kabbale enseigne que la véritable Savlanouth (Patience) va bien au-delà de la simple maîtrise de soi. Elle est un état spirituel par lequel on perçoit chaque événement, même négatif, comme un volet d’un plan divin plus vaste. Lorsqu’une personne s’ouvre à cette perspective, elle découvre peu à peu que les souffrances, les contradictions et les conflits renferment en réalité un potentiel d’élévation.

Cette voie exige un effort constant: sexercer à voir la Providence dans toutes les circonstances, à supporter lamertume passagère en gardant à lesprit la finalité ultime, et à se tourner vers le Créateur pour puiser la force nécessaire. Mais, au terme de ce chemin, se dessine la possibilité dune joie intérieure inébranlable, fruit de la conscience du Bien infini à l’œuvre derrière toute chose.

Ainsi, la Patience devient un puissant levier de transformation: elle fait de chaque épreuve un tremplin, de chaque blessure un appel à la guérison de l’âme, de chaque conflit une occasion de raffermir la paix. Elle incarne, pour chacun, une chance de se rapprocher dun horizon de lumière, Ôlam haBa, que la Kabbale invite à pressentir en Ôlam haZéh (ici-bas).

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