Pour prolonger l'expérience de transposition de l'enseignement d'Abraham Aboulafia, je m'appuierai à nouveau sur un passage de son ouvrage Imré Shéfér, à partir de la troisième partie du troisième chapitre (qui débute par ואחר שציירתי לך אילו הצורות לפי מה שספרתי לך). Cette fois, l'exercice s'avère plus délicat, car le passage est davantage empreint de mysticisme médiéval, moins philosophique et plus ésotérique, ce qui complique sa transposition dans un esprit contemporain. À la relecture, j'ai eu la sensation que, plutôt que de projeter le texte au XXIe siècle, c'est lui qui m'avait quelque peu attiré vers le XIIIe. Cette impression est principalement due à l'utilisation abondante de la terminologie kabbalistique "technique", qui confère au texte une coloration spécifique. Voici donc cette tentative.
L'Unité Divine et la Kabbale des Lettres
La contemplation des formes saintes révèle que ces configurations renferment des merveilles d'une sagesse complète (dans son texte, Abraham Aboulâfia vient d’exposer des tables de combinaisons des lettres du Nom Yhwh). Pour les véritables kabbalistes de la Torah, cette connaissance ultime transcende le monde sensible, l'imaginaire et même l'intellect. Elle embrasse tous les enseignements de la Torah.
Cette connaissance extraordinaire se réfère à la compréhension du Nom divin ineffable, qui précède et surpasse tous les autres noms attribués à l'Être suprême - l'Origine première, la Cause des causes, l'Intellect suprême au-dessus de toute existence. Son existence nécessaire fait l'unanimité parmi les sages à travers les âges. Que le monde Lui soit co-éternel ou qu'il ait été créé par Sa Volonté ou Sa Sagesse, HaShém reste l'Être nécessaire par essence, tandis que le monde est contingent par rapport à Lui.
Le pouvoir redoutable du Nom de quatre lettres, fut révélé à Moïse. Son ultime sainteté réside dans le chiffre dix - dix manifestations, dix âmes, dix intellects, habitant dix corps en mouvement, unis les uns aux autres. Le secret de la lettre Yod, de valeur numérique dix, montre que dans sa permutation, le mal est surmonté par le bien, et Dieu ne l'abandonne pas au pouvoir du mal. Ce dix représente l'inclination négative (yétsér harâ) qui gouverne le monde matériel, mais qui est transformée par la forme divine en être humain. L'union des lettres du Nom divin produit un être complet.
Lorsque Élohim créa Adam, Il le fit avec deux visages, mâle et femelle. Ce double aspect révèle qu'Adam était composé de matière et de forme, un équilibre entre le complet et le partiel, symbolisé par le Yod et le Hé, indiquant une dualité dans l'unité.
La structure humaine, représentée par l'alphabet hébreu, comprend le Monde à Venir (Ôlam haBa) créé par le Yod, et les quatre premiers noms de l'humanité : Adam, Ève, Caïn et Abel. Ces noms illustrent la composition de l'être humain, fait d'une combinaison semblable aux quatre éléments.
Adam, reflet du nom divin Yah [יה], est constitué par la moitié du nombre 30, symbolisant les fragmentations pour ceux qui se repentent, tandis que la complétude représente l'aspiration à la perfection par l'acquisition de la Sagesse et des vertus. Le manque, par la contrition sincère, s'ajoute à la perfection, transformant l'imperfection en plénitude. Cela est rappelé par la circoncision, réduction du sang et de la chair pour atteindre la plénitude spirituelle.
Adam symbolise aussi le premier humain, maître de toutes les réalités physiques et spirituelles, reflétant l'ordre cyclique de la création perpétuelle, tel un arbre inversé aux racines célestes. La compréhension de l’humain, représentée par les lettres, révèle l'ordre naturel et mystique de l'univers, où le matériel et le spirituel sont interconnectés.
La connaissance des lettres hébraïques, naturelles et saintes, est cruciale, car elles sont la matière première de toute existence, tout comme Adam est la source de l'humanité. La Sagesse réside dans l'étude et la contemplation de ces lettres qui reflètent la structure divine de l'univers et de l'âme. En explorant les lettres, les mots et leurs significations, l'homme se rapproche de la compréhension divine, reliant corps, âme et intellect dans une harmonie sacrée.
En conclusion
La pensée d'Abraham Aboulâfia, transposée au 21e siècle, soulignerait l'unité profonde de l'existence, le lien entre le matériel et le spirituel, et la quête de la perfection par la Sagesse et la transformation intérieure. Ses enseignements rappellent que chaque lettre, chaque mot, chaque pensée est un pont vers le divin, et que l'aspiration ultime humaine est de réaliser cette unité et cette plénitude dans tous les aspects de la vie.
Commentaires
1 kennedy Le 30/07/2024
Merci pour cette édition "Sagesse intemporelle #2 " .
Elle désigne du doigt un point important développé de façon kabbalistique par le "Rabsa" , c'est à dire l'organisation générale
de la substance originelle du début de la création à nos jours et pour le monde à venir :
1) Structuration des lois de la physique .( Organisation Energie/Densification de la matière ) .
2) Comment se structure l'intelligence et la pensée .
3) Comment se structure la conscience du vivant . ( Individuelle et collective ) .
En clair l'architecture , la mécanique de l'oeuvre de la création .
Intemporellement appelé les "32 sentiers de la sagesse " , ces derniers sont , de nos jours , des concepts . Les "32 concepts fondamentaux universel " , (car ils le sont ) ,
indispensable à toute la création .
Ces 32 sentiers ou concepts font cohabiter la matière , dans tous ses états physiques , avec l'esprit , dans toute sa dimension et plénitude ( ou autrement dit , l'énergie ou la substance structuré en conscience et intelligence ) . Des interactions ayant pour dénominateur commun la substance originelle . Comme pour l'Adam .
A lire ou relire aussi " les sentiers des Gaonim " par G.Lahy .