Messourah beyad

Georges Lahy Par Le 15/12/2024 0

Le Libre Arbitre selon Gikatilla

Dans son œuvre Guinath Égoz, Joseph Gikatilla évoque le thème fondamental du libre arbitre, en quelle sorte une vision kabbalistique du karma, une dynamique spirituelle reliant choix, responsabilité et conséquences. Ses enseignements offrent une perspective riche et nuancée sur la liberté de l’homme à s’élever ou à choir, liant étroitement l’éthique personnelle et la structure cosmique.

Gikatilla écrit :

« Tu dois comprendre qu’en l’homme résident deux forces : la force de l’Intellect (Koaħ haSékhél) et la force de la Passion (Koaħ haTaavah). Ces deux forces correspondent à l’ange et à Satan. Selon cette conception, chaque individu dispose du ‘libre arbitre’ (messourah beyad), pour choisir entre le bien et le mal. Comme il est dit : « Vois, Je mets devant toi aujourd’hui la vie et le bien, la mort et le mal ». Il est également dit : « Vois, Je mets devant vous aujourd’hui la bénédiction et la malédiction ». Ainsi, tout individu a un libre arbitre (messourah beyad), et aucune excuse ne peut être avancée pour prétendre qu’il aurait été contraint par une force supérieure à commettre une transgression. Comme il est enseigné : « Celui qui est contraint est exempté ». Cette idée annule toute prétention selon laquelle les actions humaines seraient imposées par des forces célestes. » (Guinath Egoz, chapitre IX, Yessod Rouaĥ)

Cette citation illustre une théologie qui rejette le déterminisme et affirme la capacité humaine à agir en toute conscience. L’homme contient en lui les forces du divin et de l’animal, et sa liberté réside dans la possibilité de s’orienter vers l’un ou l’autre. La Torah, selon Gikatilla, repose entièrement sur ce principe. Sans libre arbitre, les commandements seraient dénués de sens :

« Toute la Torah est divisée sur ce principe. Si tu ne dis pas cela, pourquoi aurait-on prescrit des commandements ? Si tout était déterminé d’en haut, il n’y aurait ni mérite à faire le bien, ni culpabilité à faire le mal. Mais puisqu’il est établi que l’humain dispose du libre arbitre, les commandements sont liés à la volonté : celui qui les accomplit reçoit une récompense, et celui qui les transgresse est puni. C’est une preuve claire que l’humain domine ces deux forces, soit pour s’élever vers le bien, soit pour pencher vers le mal. » (ibid.)

Étymologie et Portée Spirituelle de la Messourah Beyad

Gikatilla emploie l’expression messourah beyad [מְסוּרָה בְּיַד] pour désigner le libre arbitre. Cette expression, littéralement « une scie dans la main », dérive de la racine « massar » [מָסַר], qui signifie « remettre », « confier » ou encore « séparer ». Le terme suggère un acte de responsabilité et de confiance : Le Créateur remet symboliquement à l’humain la liberté de ses choix, tout en lui confiant la capacité de distinguer et de séparer le bien du mal.

Cette notion s’inscrit dans un cadre éthique où l’individu n’est pas une victime des forces extérieures, mais un acteur investi de liberté. Gikatilla pousse plus loin cette idée en reliant la guimatria de messourah beyad [מְסוּרָה בְּיַד] (327) au verset du Cantique : « Mon bien-aimé est descendu à son jardin » [דּוֹדִי יָרַד לְגַנּוֹ] (Cantique des cantiques 6:2). Cette corrélation invite à voir le libre arbitre comme un acte d’amour et de confiance entre l’humain et la Providence. Le « jardin », image du monde intérieur, devient l’espace où s’exprime la liberté de l’âme.

L’Homme : Microcosme et Pont entre les Mondes

Gikatilla dépeint l’homme comme un « microcosme » (ôlam qatan), un miroir des forces universelles. Il écrit :

« Sache également, mon frère, que l’humain contient en lui toutes les forces du monde. D’abord, il est inclus parmi les intellects séparés et les sphères célestes, étant leur intermédiaire grâce à deux capacités qui lui sont propres : celles qui le relient à l’intellect et celles qui le lient à la matière. Ainsi, il a le libre arbitre, la possibilité de choisir entre le bien et le mal. »

Cette position intermédiaire confère à l’humain une responsabilité unique. Placé entre le divin et le terrestre, il est appelé à transformer la réalité matérielle à la lumière des principes spirituels. Le libre arbitre devient ainsi l’outil par lequel l’humain participe à l’harmonie du cosmos.

Ouverture Philosophique

Le libre arbitre, selon Gikatilla, est un don sacré, un acte de confiance divine envers l’humanité. Cette capacité à choisir entre le bien et le mal engage l’individu à une double responsabilité : envers lui-même et envers l’univers tout entier. Dans cette vision, l’éthique n’est pas seulement une règle de conduite, mais un moyen d’aligner l’âme humaine sur les sphères supérieures.

Cette conception du libre arbitre nous invite à réfléchir sur notre propre liberté. Sommes-nous conscients de la portée de nos choix ? Avons-nous réellement intériorisé que chaque action, aussi insignifiante semble-t-elle, résonne à travers les mondes ?

La tradition kabbalistique répond par une vision dynamique : nos choix ne sont pas figés dans le destin. Par notre libre arbitre, nous pouvons constamment redéfinir notre trajectoire et celle du monde. Cette liberté est indissociable du « lâcher-prise » envers les illusions du contrôle total. Accepter la responsabilité de ses choix, c’est aussi avoir foi en l’harmonie ultime du cosmos.

En conclusion, Gikatilla nous rappelle que la liberté est une puissance créatrice, un dialogue perpétuel entre l’âme et le divin. Le libre arbitre devient ainsi le fil d’or qui relie l’humanité à sa source transcendante, nous offrant la possibilité d’écrire, chaque jour, le poème de notre vie.

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