Les Deux Visages de l'Un

Georges Lahy Par Le 17/04/2024 0

Intrication et Dualité dans la Pensée de Charles Mopsik

Dans le paysage foisonnant de la pensée kabbalistique contemporaine, Charles Mopsik occupe une place de choix. Sa recherche acharnée sur la dualité divine au cœur de la mystique juive l’a mené à la rédaction de ce qui peut être considéré comme son ultime chef-d'œuvre, « Les Deux Visages de l'Un ». Ce livre, publié à titre posthume, est une somme théologique et mystique qui plonge dans le cœur de la dualité divine, examinant les manifestations du masculin et du féminin dans le divin et leur écho dans l'expérience humaine.

Les deux visages de l'Un

Le couple divin dans la cabale

Dans « Les Deux Visages de l'Un », Charles Mopsik nous invite à un voyage à travers les textes kabbalistiques pour y découvrir une vision du divin qui est à la fois un et double. Il s'agit d'une exploration profonde de la façon dont le masculin et le féminin, loin d'être des polarités strictement opposées, coexistent comme des expressions complémentaires de l'Un divin. Cet enseignement trouve ses racines dans des textes anciens, souvent méconnus et inédits en français, que Charles Mopsik a brillamment mis en lumière.

Afin de laisser le lecteur découvrir par lui-même le trésor que représente cet ouvrage, je m’attarderai ici sur Le chapitre X, intitulé « Intrication ou dévoration », qui se révèle être un joyau de réflexion sur la manière dont les principes masculin et féminin s'entrelacent à travers le cosmos et dans la nature humaine. Charles Mopsik y développe une thèse où ces deux forces, loin d'être antagonistes, sont intrinsèquement liées dans une union qui reflète la complexité de la création divine.

Avec sagesse, il s'appuie sur des interprétations profondes de textes sacrés pour articuler son argumentation. Il évoque, par exemple, l'androgynie de la Shekhinah, une figure centrale dans la Kabbale, pour illustrer cette dualité : « La tradition qu’a restituée R. Abraham ben David, au sujet d’une intrication des attributs de Jugement et de Miséricorde, l’un comportant l’autre, suppose en vertu des correspondances avec les deux visages d’Adam » (page 498). Cette citation souligne l'idée que même les attributs divins sont composés de dualités entremêlées.

Un autre passage puissant de ce chapitre discute la manière dont la différence sexuelle est non seulement une séparation mais aussi une intrication dynamique et nécessaire : « Il ne s’agit pas en fait de ‘coincidentia oppositorum’ mais plutôt d’imbrication des puissances sexuelles, au point que l’une ne peut être qu’avec l’autre et ne peut en être isolée absolument » (page 500). Cette vision propose une compréhension plus nuancée de la dualité, comme étant une harmonie plutôt qu'une simple opposition.

Charles Mopsik illustre comment cette intrication des principes masculin et féminin dépasse la simple métaphysique pour influencer concrètement les interactions humaines et spirituelles. En envisageant le mariage et la procréation comme des reflets de cette Union divine, il offre une vision où les actes les plus intimes sont imprégnés d'une signification cosmique profonde, reliant l'humain au divin.

« Les Deux Visages de l'Un » est plus qu'une exploration académique ; c'est un guide pour comprendre comment les dynamiques les plus élémentaires de notre existence peuvent être vues à travers le prisme de la spiritualité kabbalistique. Charles Mopsik, avec cette œuvre, offre une carte pour naviguer dans la complexité des relations humaines et divines, montrant que derrière chaque dualité se cache une union plus profonde. En tant qu’ami et admirateur de Charles, je ne peux qu’être ému par la profondeur de sa pensée, qui, même après son départ, continue de nous offrir des clés pour mieux comprendre le lien intrinsèque entre divin et humain. Sa voix douce et sage résonne dans le Feu blanc de ce livre posthume.

Charles, intuitivement, avait déjà un pied dans un monde mystique de physique quantique avec le terme « intrication ». À la manière des particules quantiques, les aspects masculin et féminin de la divinité sont intriqués d'une façon qui défie notre compréhension ordinaire, suggérant que les mystères de l'âme et ceux de l'univers sont peut-être plus proches qu'on ne le pense.

Charles utilise le terme hébreu Hitârvouth [הִתְעָרְבוּת ] pour « intrication », Ce mot est utilisé pour décrire la manière complexe et profondément interconnectée dans laquelle les principes masculin et féminin, ainsi que d'autres dualités, sont liés dans la pensée kabbalistique. Hitârvouth peut être traduit par "entrelacement" ou "intégration", soulignant la nature indissociable de ces connexions dans la structure de la réalité selon la Kabbale. Mais il existe aussi deux autres termes mystiques pour "intrication :

Le premier est « hitqashrouth » [הִתְקַשְּׁרוּת], qui signifie « connexion » ou « liaison ». Ce mot exprime l'idée d'une relation ou d'une connexion profonde et essentielle entre deux entités, ce qui correspond à l'idée d'intrication où les états de deux particules sont liés d'une manière qui dépasse les limites de l'espace et du temps.

Le second, qui me semble bien approprié au regard du thème du livre est « zivoug » [זִוּוּג], qui signifie généralement « couplage » ou « union ». En kabbale, zivoug est souvent utilisé pour décrire l'Union des sefiroth ou la Conjonction des Partsoufim, reflétant une sorte d'harmonie cosmique qui pourrait par analogie s’appliquer à l'idée d'intrication quantique. De plus, le kabbaliste ne manquera pas de relever que « zivoug » [זִוּוּג] compte une guimatria de 22, évoquant les lettres de l'alphabet hébreu se combinant deux à deux, ainsi que l'enseigne le Séfér Yetsirah.

À mon sens, ces termes reflètent bien le caractère mystique et profond de l'intrication, intégrant l'idée que les connexions spirituelles et physiques dans l'univers kabbalistique ne sont pas seulement des liens externes, mais des correspondances intérieures profondes qui définissent la nature même de la réalité.

Mais le mieux est que chacun se fasse son avis, en découvrant et en étudiant patiemment ce magnifique ouvrage.

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