Le Zayin d’Ockam

Georges Lahy Par Le 27/06/2024 1

L’importance d’un choix clair

Dans des périodes de crise où les choix semblent douloureux, voire impossibles, il faut avoir le courage de trancher entre des dilemmes souvent qualifiés de « la peste et le choléra », « le marteau et l’enclume », « le feu et l’enfer », ou encore « Scylla et Charybde », « Hitler et Staline ». Dans ces moments, il est essentiel de s’affirmer clairement et de faire preuve de Courage et de Jugement. C’est ici qu’intervient la puissance de la cinquième sefirah : Guevourah, également appelée Din, qui incarne la Force et la Décision. Cette force doit être utilisée conjointement avec le principe du « Rasoir d’Ockam ».

Le Rasoir d’Ockam : une simplicité tranchante

Guillaume d’Ockam (dit « Docteur invincible »), philosophe et théologien franciscain anglais du XIVe siècle, est l’auteur du célèbre principe connu sous le nom de « Rasoir d’Ockam ». Ce concept stipule que parmi plusieurs hypothèses, la plus simple est généralement la meilleure. En d’autres termes, lorsqu’il y a plusieurs explications possibles pour un phénomène, il faut privilégier celle qui fait le moins de suppositions.

Ockam a développé ce principe en réponse aux débats théologiques et philosophiques de son époque, souvent encombrés par des spéculations complexes et inutiles. Le Rasoir d’Ockam nous incite à éliminer les éléments superflus et à nous concentrer sur l’essentiel. Cette approche épurée peut sembler austère, mais elle est d’une grande efficacité pour clarifier la pensée et prendre des décisions nettes.

Le vide et la maladie de l’indécision

Une question sans réponse crée un vide, un Ħol [חֹל] en hébreu, un terme qui exprime l’absence de sainteté et engendre le mot ħolah [חוֹלֶה], « malade ». Ce vide, cette absence de décision, place l’individu en situation de dépendance, le laissant vulnérable à ceux qui choisissent à sa place. S’abstenir de choisir est une forme de soumission et de recherche de facilité, en transférant la responsabilité à autrui. Or, philosophiquement, « la facilité est la perte de la liberté ». Concept que l’on retrouve chez des philosophes tels que Rousseau, Kant, Nietzsche et Arendt, qui ont tous exploré la notion que la véritable liberté implique l’effort, la responsabilité et l’engagement actif, plutôt que la recherche de la facilité et du confort. Ces philosophes ont chacun, à leur manière, souligné que la liberté authentique demande souvent de surmonter des obstacles et de faire des choix courageux.

La notion de Ħol ne se limite pas seulement à un manque de sainteté, mais elle engendre également un désordre intérieur et un affaiblissement de la volonté. L’incapacité à prendre une décision ferme crée une angoisse permanente, une sensation d’être à la dérive, privé de direction et de contrôle sur son propre destin. Cette situation est propice à l’émergence de maladies physiques et psychologiques, car le corps et l’esprit ne peuvent prospérer dans un état de confusion et d’incertitude.

Zayin : L’arme tranchante du choix

Pour un kabbaliste, animé par le courage de sa Guevourah, le « Rasoir » trouve son symbole dans la septième lettre de l’alphabet hébraïque : le Zayin [זַיִן], une arme tranchante qui permet le choix clair et le discernement. La guimatria 67 du nom Zayin établit une connexion directe avec la sefirah Binah [בִינָה], la Compréhension et l’Intelligence. Binah est la sefirah de la Teshouvah, littéralement de la « Réponse ».

Le Zayin, au-delà de sa forme de lettre, est un symbole de coupure et de séparation. Il incarne la capacité de distinguer, de séparer le bon du mauvais, le vrai du faux. Dans la Kabbale, cette capacité est essentielle pour progresser spirituellement et intellectuellement. Binah, la Compréhension, n’est pas simplement une accumulation de connaissances, mais la faculté de percevoir l’essence des choses, d’en saisir la nature profonde et de faire les choix éclairés.

L’importance de l’absence de « mais »

L’activation du « Rasoir » pour un choix clair ne doit jamais être suivie d’un « mais ». Tout ce qui est dit dans une phrase avant la conjonction de coordination « mais » devient vain et futile et peu crédible. La vérité et le choix se trouvent toujours après un « mais », qui tente de les dissimuler. En hébreu, « mais » se dit « aval » [אֲבָל], un mot qui met la phrase en « deuil », « ével » [אֵבֶל].

L’usage du « mais » est souvent un subterfuge pour éviter la responsabilité. Il permet de nuancer indéfiniment, de créer des échappatoires. Cependant, dans les moments cruciaux, cette nuance devient une barrière à l’action. Trancher, c’est prendre position, assumer pleinement ses choix sans se réfugier derrière des excuses ou des justifications. En évitant le « mais », on évite également le deuil de la certitude et de la clarté.

Prenons l’exemple de la phrase : « Je ne partage pas ses idées, mais je dois reconnaître qu’il n’a pas toujours tort. » En réalité, cette formulation implique subtilement une reconnaissance partielle de la validité de ses idées, indiquant ainsi : « En fait, je partage certaines de ses idées. » Par conséquent, la personne peut trancher en sa faveur.

Le courage de choisir et de revenir

Ainsi, face à un choix apparemment impossible, il faut trancher et choisir le moindre mal, tout en restant prêt à revenir intelligemment pour rectifier la situation créée par ce choix. C’est ici que Binah entre en jeu, permettant le « shouv », le retour, la correction nécessaire après un choix.

Choisir le moindre mal ne signifie pas céder à la fatalité, mais faire preuve de pragmatisme et de sagesse. C’est reconnaître que dans l’imperfection du monde, les choix parfaits sont rares. Toutefois, chaque décision peut être réévaluée, chaque erreur peut être corrigée, c’est le Tiqoun Ôlam. Le « shouv », le retour, est un processus dynamique qui permet de transformer chaque décision en une opportunité d’apprentissage et de croissance.

Dans les moments où les choix semblent impossibles, il est crucial d’invoquer la puissance de Guevourah et de s’appuyer sur le principe du Rasoir d’Ockam. La symbolique du Zayin, avec son pouvoir de trancher, et la connexion avec Binah, la Compréhension et l’Intelligence, nous rappellent que la clarté et le courage dans le choix sont essentiels. Il ne faut jamais craindre de trancher, de choisir et, si nécessaire, de revenir pour rectifier. Car c’est dans cette dynamique que réside la véritable liberté et la force intérieure.

En somme

Le Zayin d’Ockam n’est pas seulement une métaphore de la décision claire, mais une invitation à embrasser pleinement la responsabilité de nos choix. Dans le tumulte des dilemmes de la vie, il nous rappelle que la simplicité et la clarté sont nos alliées, et que le courage de trancher est le chemin vers une existence plus libre et plus éclairée. Que chaque décision, aussi difficile soit-elle, soit une occasion de croissance et d’affirmation de soi, guidée par la sagesse de Binah et la force de Guevourah.

Dans une période de choix électoral difficile et douloureux, il est probable que les consultations médicales et la consommation de produits apaisants augmentent en raison des dilemmes internes que cela engendre. C’est dans ces moments que prendre une décision claire peut s’avérer guérisseur et salvateur, en libérant l’esprit et en évacuant les tensions néfastes du corps. Les questions sans réponses ont tendance à rapidement se transformer en angoisses, affectant profondément l’individu et son environnement. Ainsi, trancher et choisir devient un acte de Tiqoun Ôlam (Réparation du Monde), contribuant à restaurer l’harmonie intérieure et extérieure.

Pour conclure, voici une citation Zohar, Vayeħi 226a :

« Lorsqu'un homme se tient à une croisée des chemins, deux chemins lui sont ouverts. L'un mène au feu et l'autre à la neige. S'il marche vers le feu, il craint de brûler ; s'il marche vers la neige, il craint de geler. Que doit-il faire ? Il doit marcher entre les deux. »

C’est ce que l’on appelle le « sentier en lame de rasoir » : Trop à droite, on tombe ; trop à gauche, on tombe ; et au milieu, on se coupe.

Commentaires

  • Valérie

    1 Valérie Le 01/07/2024

    C’est magnifique! Merci pour cette leçon de vie…

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