La Kabbale regorge de symboles puissants, puisant souvent dans l'imagerie de la nature pour exprimer des concepts spirituels profonds. Parmi ces symboles, l'arbre occupe une place centrale, incarnant « l'Arbre de Vie » (Êts haĦaïm) [עֵץ הַחַיִּים] par lequel l'énergie divine, ou Shéfâ, se diffuse dans le monde. Si l'arbre lui-même est fréquemment étudié, la sève, source de sa vitalité, reste souvent un symbole implicite, une présence discrète mais essentielle.
Entre Matière et Essence Spirituelle
En hébreu, la sève est désignée par plusieurs termes. mohal haêts [מָהוּל הָעֵץ], « jus de l'arbre », est l'expression la plus courante. Sa guimatria 246 évoque la robustesse et la vie, elle est partagée par ħizouq ħazaq [חִיזּוּק חָזָק], « Force robuste » ; Gabriel [גַּבְרִיאֵל] ; Ħayim le-Netsaħ [חַיִּים לָנֶצַח], « Vie éternelle » et Tal or [טַל אוֹר], « rosée de lumière ». La rosée est mystiquement la « sève » céleste permettant la résurrection.
Pour désigner la sève, on peut également utiliser le terme leshad haêts [לְשֵׁד הָעֵץ] « moelle de l'arbre », désigne plus spécifiquement la sève élaborée, riche en nutriments. Sa guimatria 499 semble évoquer la force des hiérarchies célestes, car c’est celle de Tsevaoth [צְבָאוֹת]. Mais elle peut être guérisseuse, car elle correspond aussi à Segouloth [סְגֻלּוֺת], « remèdes », qui sont accompagnés de la prière de même valeur : Barouk’h podéh oumatsil [בָּרוּךְ פּוֹדֶה וּמַצִּיל], « Béni soit celui qui rachète et sauve ».
Dans les textes mystiques, le terme seraf [שְׂרָף], signifiant à la fois « sève » et « résine », est également utilisé. Ce nom est une variante de saraf [שָׂרָף], qui signifie brûler, et donne le nom d’un ange, parmi les serafim.
Cependant, au-delà de son expression littérale, la sève peut aussi être reliée à un concept plus vaste, celui du shéfâ [שֶׁפַע], qui représente l'effusion divine et l'abondance spirituelle circulant à travers la Création.
La Sève, Métaphore Mystique
L'importance de la sève est perceptible, même implicitement, dans des textes fondamentaux comme le Séfér haZohar. Bien qu'il ne la mentionne pas explicitement, le Zohar décrit le flux des forces divines à travers les Sefiroth, émanant à travers les branches de l'Arbre de Vie. Ce flux, source de vie et de conscience, peut être interprété comme une représentation métaphorique de la sève. Dans le Zohar Vayikra (37), l'image des arbres plantés dans la maison de Dieu (Béith-Él), portant des fruits même dans leur vieillesse, évoque une vitalité spirituelle continue, alimentée par une source cachée, semblable à la sève nourrissant l'arbre.
Le Zohar Balak (28) offre une analogie plus directe entre l'arbre et l'étude de la Torah. L'homme qui étudie assidûment la Torah est comparé à un arbre planté près d'un courant d'eau, dont les racines, l'écorce, la moelle (moħa [מוֹחָא], pouvant également signifier sève), les branches, les feuilles, les fleurs et les fruits représentent les différents niveaux d'interprétation du texte saint. La moelle, ou sève, symbolise ici l'essence vitale de la Torah, la source de sa richesse spirituelle.
Le Pri Êts Hadar, quant à lui, mentionne explicitement la sève (seraf [שְׂרָף]) en l'associant au Nouvel An des arbres (Tou Bishevat). L'auteur établit un parallèle entre la montée de la sève dans les arbres après les pluies et l'émanation de l'abondance divine (shéfâ) dans le monde spirituel. La prière récitée à Tou Bishevat demande que la « sève supérieure » (seréfah êliyon [שְׂרֵפָה עֶלְיוֹן]) soit activée pour répandre la bénédiction sur les fruits, confirmant le rôle de la sève comme symbole du flux divin. (Pri Ets Hadar, sur Tou Bishevat)
D'autres textes, sans mentionner explicitement la sève, utilisent des images similaires. Dans le Hakhsharath HaAvrekhim, Kalonymous Kalman Shapira décrit la Tevounah (intelligence), issue de la Binah (compréhension), comme la source qui nourrit et fortifie les Middoth, rappelant la façon dont la sève nourrit les branches d'un arbre. De même, dans Shenéi Luħot HaBerith, Isaiah Horowitz utilise l'image des branches pour illustrer la transmission de l'héritage spirituel à travers les générations, comparable à la vitalité qui se perpétue grâce à la sève. (Shenéi Luħot HaBerith, sur la section de la Torah concernant les lois de l’héritage).
La Sève Flux Divin
La sève, bien que souvent implicite, représente un symbole puissant dans la mystique juive. Elle incarne le flux vital, la force cachée qui nourrit et soutient la Création, tant physique que spirituelle. Associée à l'Arbre de Vie, elle symbolise l'Émanation divine, la transmission de la Sagesse et la vitalité spirituelle qui se perpétue à travers les générations.
Ainsi, dans le silence des racines et le mouvement secret de la sève, l’âme du monde continue de murmurer son cantique éternel. La sève est ce fil invisible qui relie la terre au ciel, l’humain au divin, le passé à l’avenir. De même qu’elle vivifie l’arbre, le shéfâ divin alimente l’âme de celui qui s’ouvre à la connaissance et à la contemplation. Toute quête spirituelle est une ascension silencieuse, une montée de sève vers la lumière. Car si l’arbre s’élève, c’est grâce à ce flux caché qui circule en lui, de même que le maskil ne s’élève que par la Sagesse qui le traverse. Il doit apprendre à ressembler à ces arbres plantés au bord des sources vives, à laisser la sève du savoir, de l’amour et de la prière irriguer ses branches, afin que ses fruits portent témoignage de la Shekhinah qui circule en toute chose.
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