La rumeur de Marie

Georges Lahy Par Le 20/02/2024 3

Marie la magdalénienne

On m’a posé la question au sujet de cette rumeur qui court depuis des siècles au sujet de Marie-Madeleine, cette femme mystérieuse du cercle des « Marie », ou des « Myriam » qui entourait le rabbi Yéshouâ ben Myriam meNatsrath [ישוע בן מירים מנצרת], Jésus (Yéshou) pour les intimes. D’où vient cette rumeur, devenue certitude, qui raconte qu’il s’agissait d’une prostituée ? Je l’avais toujours entendue, même de la part de prêtres ou de fervents catholiques, sans chercher à en savoir davantage.

Je suis donc allé vérifier dans les Évangiles, et, surprise, pas de Marie prostituée. Ni en français, ni en grec, ni en latin, ni en hébreu, ni en araméen. Il y a bien une certaine Raħav hazonah [רָחָב הַזּוֹנָה] (Rahav la prostituée) dans les Épîtres, mais pas de Myriam. J’ai remarqué au passage que dans le Livre de Matthieu les mok’sim [מּוֹכְסִים] (collecteurs de taxes) et les zonoth [זּוֹנוֹת] (prostituées) sont mis sur le même plan. Peut-être Jésus, le charpentier, avait-il subi un contrôle fiscal ?

Le nom de Marie-Madeleine, Miryam Magdalita [מִרְיָם מַּגְדָּלִיתָא] dans sa langue araméenne (litt. Marie la magdalénienne), est mentionné seulement douze fois dans le Nouveau Testament. Il y a bien dans le Livre de Marc la mention qu’au sortir du tombeau Jésus lui aurait retiré sept shédim (démons), mais rien à voir avec la prostitution. Pour rester dans la langue de Yéshouâ et de Miryam, le verset araméen de la Peshita dit : « Il se leva de bon matin le premier jour après Shabbath, et il apparut d’abord à Miryam Magdalita, de laquelle il avait chassé sept démons (shavâ shidin). » [בּשַׁפרָא דֵּין בּחַד בּשַׁבָּא קָם וֵאתחזִי לוּקדַם למִרְיָם מַּגְדָּלִיתָא הָי דּשַׁבעָא שׁאִדִין אַפֵּק הוָא מֵנָה].

Si l’on regarde cela d’un œil plus ésotérique, ce sont les sept voiles qui occultent les sept palais mystiques et recouvrent la radiance de la Shekhinah. Cela change la donne, car voici alors Miryam Magdalita personnifiant la Shekhinah, et allusivement, la Fiancée du Cantique des cantiques qui appelle son époux mystique, Yéshouâ personnifie alors le Bien-Aimé, C’est une perspective différente qui éclaire d’un nouveau jour le rôle de Miryam Magdalita.

La ville de Magdala [מַגְדְּלָא], associée à Marie-Madeleine, signifie « la tour ». Le Talmud (traité Pessaħim 46a), nous apprend que son nom complet est Migdal Nounaya [מִּגְדַּל נוּנַיָּא], que l’on peut traduire par « la Tour des poissons ». La ville se trouvait sur la rive ouest du lac de Tibériade, en contre-bas des falaises d’Arbel. Magdala était un important port commercial et un centre de pêche. Ainsi, Miryam Magdalita [מִרְיָם מַּגְדָּלִיתָא] ou sa forme en hébreu Miryam haMagdalith [מִרְיָם הַמַּגְדָּלִית], peut se traduire par « Marie de la Tour ». Dans le Cantique, le Fiancé lui chante « ton cou est comme la tour (migdal) de David », ou « ton cou est comme une tour (migdal) d’ivoire », ou encore « ton nez est comme la tour (migdal) du Liban qui guette du côté de Damas ».

Dans le Nouveau Testament, elle est clairement présentée comme une femme dévouée qui a suivi Yéshouâ et qui a été témoin de sa résurrection (Jean 20:11-18).

La rumeur selon laquelle Miryam Magdalita était une prostituée trouve son origine dans une interprétation erronée et une fusion de plusieurs figures féminines mentionnées dans le Nouveau Testament. Cette confusion s’est largement répandue au début du christianisme et a été cristallisée par le pape Grégoire Ier au VIe siècle (comme quoi on peut être saint et crétin). Dans un sermon, il a amalgamé Marie-Madeleine avec la femme pécheresse anonyme qui oint les pieds de Jésus dans l’Évangile selon Luc (7:37) et avec Marie de Béthanie, qui, dans un autre passage, effectue un geste similaire. Cette identification a été reprise et diffusée, solidifiant à tort l’image de Marie-Madeleine en tant que prostituée repentie. Ce verset de Luc ne parle pas de prostituée, mais de anathta ħataïta [אנתּתָא חַטָיתָּא] « femme pêcheresse ».

Par conséquent, aucun texte biblique ne mentionne explicitement qu’elle était prostituée ou qu’elle menait une vie de péché avant de rencontrer Yéshouâ. Au contraire, elle est présentée comme une disciple dévouée, témoin de la crucifixion, de l’ensevelissement, et la première à le voir ressuscité, jouant ainsi un rôle crucial dans les récits de la résurrection.

L’erreur d’identification et la réputation infondée de Miryam Magdlita comme prostituée ont fort heureusement été remises en question et corrigées dans de nombreux cercles théologiques et académiques contemporains (1800 ans de réflexion tout de même). Les efforts pour réhabiliter sa réputation se sont intensifiés, mettant en lumière son rôle significatif en tant que disciple proche de Yéshouâ et figure importante du christianisme primitif.

L’autre Marie-Madeleine

Dans l’histoire de Jésus, il est clairement mentionné que Marie est « magdalénienne » (Miryam Magdalita ou Miryam haMagdalith). Cependant, il est possible de la confondre avec une autre femme, mentionnée à plusieurs reprises dans le Talmud, nommée Myriam Megdala [מִרְיָם מְגַדְּלָא]. Cette dernière est toutefois antérieure à la Galiléenne du récit de Yéshouâ.Haut du formulaire

La figure de Miryam dans le Talmud est en plus entourée d’ambiguïté, ce qui pourrait avoir contribué à altérer l’image de Marie-Madeleine, fidèle dévote de Jésus. La confusion entre deux figures portant le nom de Myriam Megdala, l’une perçue négativement et l’autre positivement, accentue cette complexité. La première est décrite comme une tresseuse de cheveux, une sorte d’ensorceleuse causant la mort prématurée des personnes, tandis que la seconde est vue comme une nourrice bienveillante, s’occupant des enfants en bas âge. Un passage du Talmud, dans Ħagigah 4b, illustre cette confusion : « Lorsque Rav Yosséf est arrivé à ce verset, il s’est écrié : "Mais il y a des gens qui sont balayés sans justice : "Mais il y a ceux qui sont emportés sans justice" (Proverbes 13:23). Il ajouta : "Est-ce qu’il y a quelqu’un qui va avant son heure et qui meurt sans raison ? Y a-t-il quelqu’un qui va avant son heure et qui meurt sans raison ? [La Guémara répond :] Oui, comme cet incident de Rav Beivai bar Abbaye, qui fréquentait l’Ange de la mort [et voyait comment les gens mouraient de la main de cet ange. L’ange de la mort dit à son envoyé : Va et amène-moi [c’est-à-dire tue] Myriam, l’éleveuse (Magdala) [c’est-à-dire la tresseuse] de cheveux de femmes. Il y alla, mais au lieu de cela, il lui amena Miriam, l’éleveuse (Magdala) de bébés ».Haut du formulaire

Ainsi la première se nomme : Myriam megdala séâr nashia [מִרְיָם מְגַדְּלָא שֵׂעָר נַשְּׁיָא], Myriam l’éleveuse de cheveux de femmes … la coiffeuse. La seconde est : Miryam megdala dardqéi [מִרְיָם מְגַדְּלָא דַּרְדְּקֵי], Myriam l’éleveuse de bébés … la nourrice.

Les figures énigmatiques des Miryam dans le Talmud suggèrent une profondeur et une complexité qui invitent à une exploration plus approfondie, notamment en ce qui concerne l’origine et la signification de l’appellation Miryam Magdalita. Il est raisonnable de supposer que le rabbi Yéshouâ et les érudits de son époque étaient au fait de l’existence des deux Myriam Megdala, et que cette connaissance pouvait influencer leur perception et leur utilisation de noms et de titres. Cette résonance pourrait en effet dévoiler une partie du mystère entourant le choix de l’appellation pour Marie-Madeleine, qui, au lieu d’être désignée par son lien familial comme « Myriam fille de … », est identifiée par un titre qui pourrait refléter un rôle ou une caractéristique spécifique. Ainsi, la question de savoir si elle était coiffeuse, nourrice, les deux, ou si ces titres avaient une autre signification dans le contexte de son époque reste ouverte à interprétation et spéculation. Cette ambiguïté souligne la richesse des textes anciens et la manière dont les noms et les titres peuvent porter en eux des couches de sens et d’histoire.Haut du formulaire

L’interprétation fondée sur la pensée talmudique de Miryam Magdalita comme « Myriam qui élève » ou « Myriam qui dresse » nous plonge dans une dimension ésotérique profonde, faisant écho à la force ascensionnelle de la Shekhinah. Cette force sainte est décrite comme libérant les âmes de la servitude et les élevant à travers les « 50 Portes de Binah » vers la Libération spirituelle. Cette perspective ne pointe pas vers Myriam Megdala Séâr Nashia, mais plutôt vers Myriam Megdala Shaâr Nashia : « Myriam l’éleveuse de la Porte féminine », c’est-à-dire de Binah, illustrant ainsi un rôle profondément spirituel et élevé.

Le terme Migdal Nounaya [מִּגְדַּל נוּנַיָּא], interprété non comme « Tour des poissons », mais comme « élévation des 50 », renforce cette idée par le biais de la lettre noun (נ), qui a une valeur numérique de 50. Cette interprétation est appuyée par le mot sumérien « noun », signifiant littéralement 50, et qui est associé à la déesse Inanna (ou Ishtar dans la mythologie mésopotamienne), déesse des fleuves et des poissons, fondatrice de la cité de Ninive. Inanna, figure complexe symbolisant à la fois la guerre et l’amour, incarne la dualité des aspects associés aux Myriam Megdala, réunissant ainsi les thèmes de l’élévation spirituelle et de la complexité des rôles féminins dans les textes ésotériques.

Cette interprétation enrichit notre compréhension de Miryam Magdalita, la présentant non seulement comme une figure historique ou légendaire, mais aussi comme un symbole profond de l’élévation spirituelle et de la complexité intrinsèque à la condition féminine, à travers des références culturelles et mythologiques variées.Haut du formulaire

Et ainsi, Miryam Magdalita se révèle comme une émanation de la Shekhinah et de la déesse Ishtar, incarnant la fusion de la spiritualité hébraïque avec des éléments de la mythologie mésopotamienne. Cette interprétation souligne son rôle crucial et sa présence incontournable lors d’événements clés tels que la Résurrection et l’Ascension. Elle est donc naturellement associée à ces moments de transformation et d’élévation spirituelle, symbolisant la puissance féminine divine qui accompagne et soutient le passage de la servitude à la liberté, de la mort à la vie éternelle. Sa présence est un témoignage de la continuité de la tradition spirituelle, reliant le passé mythologique au présent spirituel, et soulignant son rôle de médiatrice entre le divin et l’humanité.

L’histoire continue

Il est raconté qu’après la Résurrection, Marie Madeleine se serait rendue en Provence, dans le sud de la France, où elle aurait passé les dernières années de sa vie dans sa grotte de la Sainte-Baume, nichée au cœur d’un massif montagneux situé dans le département du Var, lieu où Marie Madeleine se serait retirée pour vivre en ermite pendant les trente dernières années de sa vie. La légende raconte que Marie Madeleine aurait été « élevée » (megdala) chaque jour par les anges jusqu’au sommet de la montagne pour entendre les chants célestes avant de redescendre dans sa grotte pour prier.

Cela pourrait nous ramener à la relation avec Inanna, dont le voyage dans le monde souterrain pourrait être vu comme une connexion symbolique avec des espaces souterrains tels que des grottes. Le mythe le plus célèbre d’Inanna, connue comme la « Dame du Ciel », est celui de sa descente aux Enfers, un récit qui illustre son voyage dans le monde souterrain pour confronter sa sœur Ereshkigal, la reine des Enfers. Ce mythe, connu sous le nom de « Descente d’Inanna aux Enfers », décrit son passage à travers les sept portes des Enfers, où elle doit se défaire de ses attributs royaux et de sa puissance, symbolisés par sept voiles (la fameuse danse des 7 voiles) pour finalement se retrouver nue et jugée devant Ereshkigal. Les sept démons retirés de Miryam en seraient une allusion.

À mon sens, la figure de Miryam Magdalita dans le christianisme incarne les émanations des divinités féminines antérieures. Devant cette puissance féminine impressionnante, certains exégètes et théologiens antiques, drapés d’obscurantisme, ont choisi de dénigrer son image, allant jusqu’à la présenter comme une prostituée pécheresse, et ce, sans tenir compte des rares écrits de cette époque. Une décision idéologique et fanatique aux lourdes conséquences.

Certains avancent que Miryam Magdalita était l’épouse du rabbi Yéshouâ. Il n’aurait rien d’étonnant, pour un rabbi de cette période, d’être marié et d’avoir des enfants. C’était même une condition requise pour enseigner et avoir des disciples. Un homme non marié était désigné par l’expression ħatsi ish [חֲצִי אִישׁ] (voir Talmud qiddoushin 7a), soit « demi-homme », car il était considéré comme incomplet sans sa femme. Cependant, je n’ai trouvé aucun texte confirmant le mariage de Miryam et Yéshouâ.

Commentaires

  • Banshee

    1 Banshee Le 21/02/2024

    Magnifique et passionnant, comme toujours.
    Merci Georges
  • joce32

    2 joce32 Le 25/02/2024

    Très instructif
    Remet en cause beaucoup de pseudo croyances
    La sainte baume reste un beau lieu
    Merci Georges
  • Erik

    3 Erik Le 27/02/2024

    Bonjour Georges, Merci pour ton texte qui suscite en moi d'autres réflexions que je partage ici.
    Manquant de temps et de sources documentaires aussi élaborés et riches que les tiennes, j’ai pris le pari de suivre et d'orienter ma réflexion vers l'un des multiples sens qu’autorise la richesse des textes anciens et leur libre interprétation…celle d’une allégorie initiatique rendue accessible ….
    Car si on considère le sens latin du mot prostitution à savoir « prostituere » mettre devant, exposer au public, l’histoire de Marie-Madeleine Miryam Magdalita pourrait révéler un autre sens à côté et dans le processus d’élévation et de révélation du personnage « Jesus ».

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