La Guimatria

Georges Lahy Par Le 19/02/2024 2

L'art mystique des nombres

À l'occasion de la mise à jour de mon « Dictionnaire de Guimatria » enrichi, qui compte désormais 400 pages, je saisis cette opportunité pour évoquer la signification de la guimatria pour les kabbalistes. La guimatria attribue naturellement une valeur numérique à chaque mot et expression hébraïque. C'est pour cette raison qu'un dictionnaire doit être ciblé, car inclure tous les mots existants le rendrait bien trop volumineux. Ce dictionnaire se concentre sur les « Valeurs numériques des termes hébraïques utilisés en Kabbale et spiritualité », bien qu'il aurait pu également mentionner « mystique et religion », puisque les termes fondamentaux y figurent aussi.

Découvrant les mystères de la guimatria il y a bien longtemps, je rêvais d'un dictionnaire qui me guiderait dans l'exploration de ce domaine, mais rien de tel n'existait. Ce manque a encouragé le jeune chercheur que j'étais à développer ma mémoire et ma perspicacité. La découverte des écrits d’Abraham Aboulâfia a révélé la puissance de cet art numérique, faisant de lui l'un des plus éminents représentants kabbalistiques. Pour lui, la guimatria, intégrée dans le texte mystique, perd son sens si une lettre, donc un nombre, manque, brisant ainsi le code ésotérique. Un monde fascinant où chaque mystère en cache un autre, inaccessible à ceux qui n’y sont pas immergés, les amenant à le réduire à un simple jeu de nombres.

Abraham Aboulâfia considérait les nombres comme des cailloux trouvés par le kabbaliste sur son chemin, à collecter et à conserver. Inspiré par cette approche, j'ai commencé ma propre collecte, d'abord manuellement, puis à l'aide de traitements de texte permettant la saisie de caractères hébraïques, et enfin avec des tableurs capables de convertir ces caractères en chiffres pour réaliser des additions magiques.

En parlant de cette évolution informatique, je pense à mon ami Charles Mopsik, za’l. Ensemble, nous avons embrassé l'ère numérique, cherchant à l'intégrer dans notre univers. L'innovation majeure fut la possibilité de combiner des textes hébraïques et français dans nos écrits avec un traitement de texte, suivie par la recherche hypertexte facilitant l'exploration de textes hébraïques numérisés. L'avènement d'internet a révolutionné notre capacité à partager nos découvertes et à accéder à des bibliothèques lointaines. Un jour nous nous sommes mêmes vus et entendus par l’intermédiaire de nos écrans d’ordinateurs ! Enfin, nous nous sommes devinés, à l’époque c’était une innovation chancelante. Je me demande parfois ce qu'il aurait fait avec les outils d'aujourd'hui, dans un monde où l'accès à l'information est devenu si instantané. Fini les microfilms à faire copier, les mauvais fac simil qui mettaient des mois à arriver. Un clic et nous voici dans la Bibliothèque nationale d’Israël ou dans le British Museum.

L'ordinateur, ou « maħshév » [מַחְשֵׁב] en hébreu, qui signifie calculateur et évoque la maħshavah [מַחְשָׁבָה], la pensée, semble avoir été prédestiné à l'art numérique des kabbalistes. Le terme est issu de la racine ħashav [חָשַׁב], exprimant une multitude de concepts liés à la réflexion et à la planification. Ainsi, l'ordinateur aurait pu être surnommé le « guimatrieur », soulignant son rôle central dans l'étude et la pratique de la guimatria.

Un jour, en examinant ma base de données de guimatrioth constituée au fil des années, j'ai pensé que d'autres chercheurs pourraient être intéressés par cette collection, que j'aurais moi-même grandement appréciée il y a une cinquantaine d'années. Lors de sa première publication, j’ai réalisé qu’il y avait des nombres que je n’avais jamais rencontrés. C'est dans cette optique qu'Abraham Aboulâfia évoquait la notion de rencontre : le kabbaliste se trouve face à des nombres qui résonnent avec lui, qui parlent de lui ou qui s'adressent à lui. Ces mêmes nombres permettent de découvrir des mots et des expressions qui, sans cela, ne se seraient jamais croisés, créant ainsi une communauté numéro-linguistique. Il s'agit d'un tissage subtil formant une toile serrée où tout est interconnecté, à l'instar du réseau neuronal du cerveau. En élaborant cette trame mystique, le kabbaliste tisse sa pensée ésotérique, dissimulée au-delà des mots, et prend conscience que le nombre lie toutes choses, l'inscrivant dans l'ensemble de la Création.

Beaucoup considèrent à tort la guimatria comme la numérologie des kabbalistes. Cependant, la guimatria ne se concentre pas sur la symbolique des nombres, mais plutôt sur la connexion entre mots ou expressions à travers des équivalences numériques. Ce sont ces connexions et équivalences qui confèrent une dimension symbolique aux nombres, et non l'inverse. Ainsi, deux kabbalistes ayant emprunté des chemins différents et rencontré des "cailloux" variés attribueront des significations symboliques distinctes à un même nombre, en fonction des termes qu'ils associent, reflétant leurs parcours uniques. Néanmoins, malgré ces différences, ils appartiennent à la même trame interconnectée.

La guimatria, comme son nom le suggère, n'est pas une numérologie mais une géométrie de la pensée, où des lignes se dessinent dans l'espace intellectuel pour créer des réseaux spirituels, des configurations de l'esprit. La géométrie, qui signifie littéralement « mesure de la terre », sert également à dessiner et à mesurer l'espace. La guimatria peut être vue comme une « Daâth shioûr Beréshith » [דַּעַת שֶׁעוֹר בְּרֵאשִׁית] : une science mesurant la Création. Le terme hébreu guimatriah [גִּימַטְרִיָּה] ou guimatria [גִּימַטְרִיָּא] en araméen, tout en évoquant la géométrie grecque geometria [γεωμετρία], dérive probablement de grammateia [γράμματία], signifiant « jeu de lettres », lui-même issu du mot gramma [γράμμα], qui signifie « lettre ». Le guimtour [גִּמְטוּר] représente l'art d'interpréter un texte via la guimatria. Bien qu'il soit courant de prononcer guématria [גֵימָטְרִיָה], les textes vocalisés les plus anciens indiquent que la forme originelle est guimatria, en hébreu comme en araméen.

Par conséquent, le « Dictionnaire de Guimatria » demeurera une œuvre inachevée, perpétuellement enrichie par les lectures, les études, et les traductions des maîtres de la Kabbale. Bien que le rythme d'ajouts puisse ralentir, étant donné que la terminologie fondamentale de la Kabbale y est déjà largement développée.

Guimatria de la guimatria

Au cœur de l'univers, là où le silence se mêle au battement éternel de la Création, réside la sagesse ancestrale de la « guimatria » [גֵימָטְרִיָה]. Comme une « flûte » [אִירוּס] dont les mélodies traversent les âges, elle nous invite à un voyage « vers le désert » [אֶל־מִדְבַּר], espace de vide et de plénitude, où chaque grain de sable détient le secret de l'univers.

Dans ce désert, un « événement » [אֵרוּעַ] se prépare, une « célébration » de la vie où le « style de vie » [אֹרַח חַיִּים] des sages est de contempler la beauté cachée « dans l’air et dans la mer » [בָּאֲוִיר וּבַיָּם], là où la « grêle très lourde » [בָּרָד כָּבֵד מְאֹד] a autrefois démontré la puissance divine.

Au centre de cette célébration, le « moustique » [הֶעָרֹב], si petit et pourtant si essentiel, nous rappelle que chaque créature, chaque « semence » [זֶרַע] porte en elle une part de la lumière divine. « Yitsħaq Avinou » [יִצְחָק אָבִינוּ], « notre père Isaac », nous enseigne à travers son rire la joie de vivre, la capacité à voir au-delà des apparences.

« L’organe de la parole » [כְּלֵי הַדִּבּוּר], l’instrument du divin, joue la mélodie de l'âme comme une « harpe » [כִנּוֹרָא], traduisant les pensées les plus profondes en hymnes de louange. Ainsi, chaque parole devient « un bon signe et une bonne chance » [סִימָן טוֹב וּמַזָּל טוֹב], un phare pour les âmes en quête de lumière.

Dans cet univers tissé de nombres et de mots, « aider » [עָזַר] et « assister » son prochain n'est pas seulement un acte de charité mais un pilier fondamental de l'existence. Comme le « saule » [עֲרָבָה] qui plie sans se briser, nous apprenons la résilience et la grâce.

La « charité et la bonté » [צְדָקָה וָחָסֶד] sont les fondements sur lesquels repose « l'ordre du monde » [צִוָּה לְעוֹלָם], un système divinement orchestré où chaque élément, chaque nombre, chaque lettre joue un rôle essentiel dans la symphonie de l'existence.

Ainsi, la guimatria nous révèle que tout est connecté, que chaque élément de la Création porte en lui une étincelle de divinité, un chiffre, un son, une vibration qui, ensemble, forment le tissu même de l'univers. En méditant sur ces vérités, nous tissons notre propre toile spirituelle, une résille sainte où la sagesse, la Beauté et l'Amour se rencontrent, révélant la géométrie divine de la pensée.

Tous les termes hébreux utilisés dans ce texte ont une guimatria commune de 277.

Philosophie des guimatriothHaut du formulaire

Parmi les philosophes qui pourraient résonner avec l'idée sous-jacente de la guimatria, Pythagore est probablement le plus célèbre. Pythagore et ses disciples croyaient que les nombres étaient au cœur de l'univers, que tout dans l'existence pouvait être expliqué et compris à travers les propriétés et les relations des nombres. Cette approche, connue sous le nom de pythagorisme, met en lumière la croyance en un ordre numérique sous-jacent au monde, ce qui partage une certaine résonance conceptuelle avec la guimatria.

Dans la philosophie pythagoricienne, les nombres ne sont pas seulement des outils de mesure ou de calcul mais possèdent des qualités intrinsèques qui leur confèrent une signification spirituelle et cosmique. Cette vision du monde est similaire à celle de la guimatria, où les nombres (et par extension, les lettres) sont vus comme ayant une dimension profonde, capable de révéler des secrets divins et des vérités cachées.

Au sein de l'harmonie cosmique, où chaque sphère et chaque étoile danse selon des proportions numériques divines, réside un principe similaire, celui de la guimatria. Comme les cordes d'une lyre, dont les longueurs respectent des rapports précis pour produire une mélodie harmonieuse, les lettres et les mots suivent les lois sacrées des nombres pour révéler les vérités cachées de l'univers.

Dans cette quête de Sagesse, l'univers est construit sur des fondations numériques, où chaque élément, du plus infime au plus grandiose, est un reflet de l'ordre mathématique divin.

Comme les Pythagoriciens contemplent l'essence des nombres pour déchiffrer l'ordre caché derrière la Création, la guimatria sert de pont entre le visible et l'invisible, le matériel et le spirituel. Elle nous enseigne que tout est connecté dans un tissu cosmique, où les nombres sont les fils tissant ensemble la matière et l'esprit, le ciel et la terre.

Ainsi, dans notre quête de connaissance, nous réalisons que la guimatria est une manifestation de la géométrie sacrée qui régit l'univers. C'est une science de la mesure de la Création, où chaque nombre, chaque lettre, devient une clé ouvrant les portes de la sagesse ancienne. C'est dans cette harmonie numérique que nous trouvons les échos de la vérité éternelle, révélant que, comme dans la musique des sphères, tout dans l'existence est orchestré selon des proportions divines.

Par ce chemin, les disciples de la philosophie pythagoricienne, reconnaissent dans la guimatria un reflet de leur propre recherche d'harmonie et de signification. Elle nous rappelle que, au cœur de tout, il y a les nombres - les principes premiers par lesquels le cosmos s'est ordonné, une symphonie éternelle où chaque note, chaque mot, chaque être, trouve sa place dans la grande partition de l'existence.

Commentaires

  • Sophie Gaillard

    1 Sophie Gaillard Le 24/02/2024

    Bonjour,
    Dans la version actuelle de vôtre dictionnaire de Guimatria, il y a deux entrées pour le mot Guimatria. La première de valeur 273 avec un Aleph terminal et la seconde de valeur 277 avec un Hé terminal.
    Est-ce que ces deux orthographes du mot ont un sens différent ?

    Je profite de ce message pour vous remercier. Vos livres et maintenant ce blog sont pour moi des ressources essentielles qui m’accompagnent sur le Chemin.
    Bien cordialement.
    Sophie
    Georges Lahy

    Georges Lahy Le 24/02/2024

    Avec un alef final c'est en araméen et avec le hé c'est en hébreu. Donc, les deux sont valables

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