L'image et le signe

Georges Lahy Par Le 21/01/2024 3

Sage comme une image

La littérature kabbalistique médiévale inclut un texte influent et fondateur, le Séfér Temounah (le Livre de l’Image), qui a joué un rôle crucial dans l'inspiration des kabbalistes de son époque. Cet ouvrage explore les liens profonds entre les lettres de l'alphabet hébreu, les sefiroth, les cycles cosmiques (shemitoth), et les jours de la semaine. Bien qu'il soit traditionnellement attribué à Rabbi Neħounya ben ha-Qanéh et Rabbi Yitsħaq le Grand Prêtre, il est largement admis qu'il pourrait être l'œuvre collective de plusieurs auteurs.

Le livre aborde le concept de « haOth » (le Signe), une idée qui a fortement influencé Abraham Aboulâfia.

Dans le contexte de l'hébreu moderne, le terme « Séfér Temounah » est souvent traduit par « Livre de photographie ». Cette traduction reflète l'évolution sémantique du mot « temounah » [תְּמוּנָה], qui signifie non seulement « image », mais aussi « photographie » et « dessin ». Dans le langage populaire contemporain, « batmounah » est utilisé pour décrire quelqu'un qui est « dans le coup » ou « à la page ». Parallèlement, le terme « tatsloum » [תַּצְלוּם], dérivé de « tsélém », est également employé pour désigner la photographie, soulignant la diversité de la langue hébraïque dans ses expressions modernes et anciennes.

Image et Foi

Le terme « temounah » est un concept qui, dans le judaïsme, est lié à l'idée de représentation, souvent dans le contexte de la non-représentabilité de l’Ineffable. On le trouve dans des versets comme Deutéronome 4:15-16, où il est question de ne pas se faire d'image sculptée, de « temounah », de Dieu.

Mon oreille homophonique, me fait entendre de l’émounah dans la temounah. « Émounah » [אֱמוּנָה] se traduit par « foi » ou « fidélité ». Ce terme a une connotation de confiance et de conviction profonde, souvent associée à la croyance en Dieu ou à la fidélité à ses commandements. Pourtant, sur le plan linguistique, ces mots semblent différents. « Temounah » vient de la racine « TMN » [תמן], qui a un sens de fixation ou de figuration. Tandis que « émounah » vient de la racine « AMN » [אמן], liée à la fermeté, la fiabilité, et la foi.

Cependant, si nous explorons ces concepts d'un point de vue plus Kabbalistique, nous pouvons y trouver un lien plus subtil. La « temounah » représente une forme, une structure, une définition limitée du divin, tandis que « émounah » est un acte de foi et de confiance au-delà des limites de la compréhension et de la représentation. Dans ce sens, ces deux concepts pourraient symboliser les aspects différents de l'expérience humaine avec l’Ineffable : « temounah » comme la tentative de conceptualiser et de définir, et « émounah » comme l'acceptation de l'inconnaissable et de l'indéfinissable.

Ainsi, « temounah » et « émounah » pourraient être considérés comme des aspects complémentaires dans la quête spirituelle, entre la définition et la foi, entre la forme et l'essence. C'est là un terrain fertile pour une réflexion profonde.

Un signe dans l’image

Le « tav » initial de « temounah » [תְּמוּנָה] peut soulever un questionnement. Le signe (oth) du « tav », qui signifie aussi "signe", étant la dernière lettre de l'alphabet, peut symboliser la complétude, la vérité ou la perfection. On pourrait donc spéculer que le « tav » en début de « temounah » pourrait suggérer une évolution vers la complétude ou la réalisation.

Si on suit cette idée, « temounah » serait alors vue comme une forme ou une image qui aspire à devenir quelque chose de plus complet ou de parfait dans le futur – une sorte de pont vers la « émounah », la foi. En d'autres termes, la « temounah » représenterait une étape dans le cheminement vers l'atteinte de la « émounah », une foi plus pleine et plus profonde.

Cette idée est en phase avec de nombreux enseignements de la Kabbale, où le processus de développement spirituel est décrit comme un voyage de l'imparfait vers le parfait, de l'incomplet vers le complet. Dans ce cadre, le « tav » de « temounah » pourrait symboliser le potentiel de transformation et d'évolution vers un état de foi plus élevé.

Ma théorie est que « le Signe » marqué par l’initiale de Temounah, est l’empreinte de la Foi qui dépasse l’image, que l’on peut alors évoquer (hazkarah) pour se rappeler de l’image et contempler l’image pour évoquer (hazkarah) la Foi. On peut ajouter à cela que la valeur 400 du Tav évoque le Shin à quatre têtes, dont la quatrième branche évoque l’Ôlam haBa. C’est pourquoi le Shin à quatre têtes serait haOth, le Signe.

Le Cœur, Véritable Écrin de l'Instant

Lorsque le contemplatif, guidé par la lumière de la grâce, reçoit en son sein la vision mystique, il la serre contre son cœur comme un Signe de l’Ineffable. Telle une gemme précieuse, elle brille en lui, lumière intime, éclat d'un instant infini. Dans les temps à venir, il invoquera ce Signe de grâce, réveillant en son âme l'écho de cette extase mystique.

Ainsi, l'artiste, tel un alchimiste du temps et de la forme, capture l'essence d'un paysage, d'un visage, les cristallisant pour que les générations futures en perpétuent le souvenir. Ces œuvres, telles des fenêtres sur le passé, invitent à la contemplation et à l'admiration.

Dans ce ballet des âges, le monde moderne a forgé un outil nouveau : l'appareil photo. Cet instrument, témoin silencieux, fige sans effort le fugace moment, se substituant au contemplatif. Pourtant, il faut redécouvrir ces clichés, souvent égarés dans les labyrinthes de nos souvenirs numériques. Car si un album de photos peut se perdre, le cœur, lui, demeure l'écrin le plus fidèle de nos mémoires.

L'appareil photo, cette matslémah [מַצְלֵמָה], descendant du tsélém [צֶלֶם], sculpteur d'images et d'idoles, façonne des reflets éphémères de notre réalité.

Jadis, la photographie était un art mesuré, chaque cliché précieusement considéré, marqué par le coût de la pellicule et le rituel du développement. Ces images rares portaient en elles une valeur inestimable. Aujourd'hui, l'abondance numérique a dilué cette essence, noyant nos précieux instants dans un océan d'oubli électronique.

Il est affligeant de voir, face à la splendeur d'un paysage, d'un événement, d'un phénomène, combien s'empressent de brandir leurs smartphones, capturant l'instant pour le laisser sombrer dans les abysses de leur cloud. Au lieu de s'abandonner à la plénitude de l'expérience, d'ouvrir grand les yeux, de respirer l'instant, de contempler avec émerveillement, et de graver ce Signe dans le sanctuaire de leur cœur. Là réside la Tiféréth, dans cette capacité à conserver la Beauté, car c'est l'un des mystères de cette sefirah.

Il est curieux d'observer ces âmes qui, après un voyage en voiture, une quête ardue pour une place de parking, une lutte au sein de la foule, choisissent de contempler un magnifique feu d'artifice à travers : l'écran de leur smartphone ! alors que le même spectacle est diffusé en direct dans le confort de leur foyer. En ce sens, l'appareil photo, matslémah [מַצְלֵמָה], porte bien son nom : « l’idoleur ».

Dans cette danse entre le tangible et l'intangible, entre l'image et l'expérience, c'est un appel à redécouvrir l'art de la contemplation, à faire du cœur le plus fidèle des appareils photos, capturant non seulement l'image, mais l'essence même de l'instant.

Variations numériques sur l'image

En marchant « vers le Jardin de la noix », [אֶל־גִּנַּת אֱגוֹז], le chercheur de vérité entame un voyage mystique vers les racines de la Création. Chaque pas est un acte de foi, un « tu ordonneras », [תְּצַוֶּה], dans l'orchestration divine de l'existence. Ce jardin, métaphore de la Sagesse suprême, est irrigué par les « eaux souterraines », [מֵי תְּהוֹם], celles de la Connaissance cachée, coulant depuis les origines du Monde.

Dans ce lieu saint, le chercheur découvre « l'œuvre d’Élohim », [מַעֲשֶׂה אֱלֹהִים], où chaque fruit, chaque feuille révèle un aspect de la « Shekhinah transcendante », [שְׁכִינָה עִילָאָה]. Le « bonheur », [אֹשֶׁר], n'est pas seulement trouvé dans la béatitude, mais aussi dans la compréhension, dans le « qui », [אָשֵר], dans le mystère de l'existence.

« Il écrit le rêve », [חֶלְמָא כְתַב], dans ce jardin, signifiant que la réalité est un tissu de visions et de symboles, un langage que seul le cœur peut déchiffrer. La « force de la mère pour la fille », [כֹּחַ אֵם לְבַת], résonne ici, symbolisant la transmission perpétuelle de la Sagesse et de la force de génération en génération.

Les « huit jours », [שְׁמוֹנָה יָמִים], représentent un cycle complet, un rythme dans le temps qui reflète l'ordre cosmique. Dans le jardin, le temps se plie, permettant au chercheur de percevoir la « quintessence », [שְׁאָר], l'essence pure de tout ce qui est.

« L'œil gauche », [עַיִן שְׂמֹאל], celui de la réception, de l'intuition, guide le voyageur. Il voit au-delà des apparences, capturant la « conscience merveilleuse », [שֵׂכֶל מֻפְלָא], une perception élargie de la réalité. Cette vision révèle le « flux divin », [שֶׁפַע הַאֱלֹהֵי], le courant ininterrompu de la grâce et de la bénédiction qui imprègne toute chose.

La « tête », [רֹאשׁ], le sommet, est non seulement une partie du corps, mais aussi le point culminant de la compréhension spirituelle. Ici, dans le Jardin, la tête du chercheur est couronnée par l'illumination, par la compréhension des mystères les plus profonds.

L'aspect « angélique, [מַלְאָכִית], de ce Jardin n'est pas une simple Présence, mais la qualité de chaque interaction, chaque révélation qui s'y produit. Le quêteur devient un avec le jardin, un avec l’Ineffable, un avec le Tout.

Dans ce voyage « vers le Jardin de la noix », le quêteur trouve plus qu'une simple destination ; il trouve un chemin vers l'intérieur, un passage vers la véritable Connaissance de soi et de la Création. C'est un voyage où le cœur et l'âme sont à la fois le voyageur et la destination, et où chaque pas est un acte de foi, d'amour et de découverte.

Tous les termes hébreux mentionnés dans ce texte ont une guimatria de 501 identique à celle de « temounah » [תְּמוּנָה].

La Quête de l'Âme Entre Image et Signe

Plotin enseignait que nous aspirons à une vision qui transcende les ombres fugaces de ce monde, cherchant une unité avec l'Un, où chaque forme n'est qu'une émanation de la lumière divine. En parcourant le « Jardin de la noix », nous sommes invités à suivre les traces du Rambam, à chercher non pas des réponses définitives, mais des questions qui élargissent notre horizon, nous menant vers un Ineffable, au-delà de toute temounah, de toute image.

Chaque âme est un miroir où se reflète l'Infini. Dans le silence de la contemplation, nous pouvons entendre l'écho de la Shekhinah îlaah, la Présence transcendante, nous rappelant que chaque instant est un portail vers l’Infini, si nous sommes prêts à ouvrir notre cœur.

Ibn Arabi, nous parle d'un monde où tout est interconnecté, où la réalité matérielle et spirituelle ne sont que les deux faces d'une même pièce. Dans ce « Jardin de la noix », chaque élément est un symbole, un Signe d'une réalité plus profonde, nous invitant à regarder au-delà des apparences. La nature elle-même est un temple, où chaque feuille, chaque goutte de rosée, est une fenêtre sur l'Infini. En vivant simplement, en observant attentivement, nous pouvons trouver des vérités qui échappent à ceux qui se pressent dans le tumulte du monde.

Dans la quête de la Sagesse, de la Vérité et de la Beauté, nous réalisons que ce n'est pas dans la capture d'une image que nous trouvons l'éternité, mais dans l'inscription d'un Signe dans le cœur. Chaque instant vécu pleinement, chaque pensée contemplative, chaque regard tourné vers l'intérieur, nous rapproche de cette Vérité intemporelle, de cette Sagesse qui réside non pas dans les mots ou les images, mais dans l'essence même de notre être.

Commentaires

  • Alain Gasquet

    1 Alain Gasquet Le 21/01/2024

    Merci pour la flamme de tes mots qui éclaire notre chemin ...et de nous faire prendre conscience des images-fruits de nos désirs du connu qui nous entravent ...quelle beau texte que celui que tu viens d'écrire ..dont je pense qu'il est bon de le lire et de le relire ..pour s imprégner du silence ,du souffle qui le génère et qu il transmet vers un état dEtre sans images laissant place a un état dEtre dans une plénitude une énergie d'un mouvement qui nous aide à nous redresser
    Merci Georges
  • kennedy

    2 kennedy Le 22/01/2024

    Merci pour ce texte trés riche.

    "Ma théorie est que « le Signe » marqué par l’initiale de Temounah, est l’empreinte de la Foi qui dépasse l’image, que l’on peut alors évoquer
    (hazkarah) pour se rappeler de l’image et contempler l’image pour évoquer (hazkarah) la Foi. On peut ajouter à cela que la valeur 400 du Tav évoque
    le Shin à quatre têtes, dont la quatrième branche évoque l’Ôlam haBa. C’est pourquoi le Shin à quatre têtes serait haOth, le Signe" (G.L) .

    Plusieurs questions me viennent à l'esprit du coup......le shin est-elle la 23 ieme lettre de l'alphabet hebreu , a t-elle une guématria et pourquoi ne figure t-elle pas dans l'alphabet ? Il faut observer que cette lettre est dans plusieurs textes dont " Le Jardin clos " et dont A.Aboulafia y fait allusion , le mentionne et semble y avoir recours pour de multiples utilisations.

    Faut-il , aprés 12 simples , 7 doubles et 3 méres y voir....."un père" ?? et donc du coup , 23 lettres . Un "père"....caché ....dans les profondeurs de nous mème et de l' Ein Sof ?

    Aprés la lecture de ce texte , "L'image et le signe" : Témounah et Emounah semble étre les mots qui conviennent et réponde a cette idée de " père "....idée qui demande réflextions peut étre !
    Georges Lahy

    Georges Lahy Le 22/01/2024

    Le Shin à quatre têtes est un vaste et obscur sujet. La théorie d'une 23e lettre vient du Séfér haTemounah, qui parle du "Oth", du signe. Certains y voient l'allusion au Shin 4 têtes. La quatrième branche perdue, marquant l'Ôlam haBa, est associée à la venue du Mashia'h. Il pourrait effectivement y avoir une 23e lettre. Toutefois, d'autres pensent que la 22e, Tav, "garde la place" du "Signe", qui alors prendrait la valeur 400. L'allusion est dans le fait que "tav" est linguistiquement de même nature que "oth". Et signifie "marque", "signe". Un peu comme si une croix avait été tracée en un endroit de l'alphabet pour garder la place d'un signe à venir. Pour approfondir cela, il faut entrer dans l'étude du Séfér HaTemounah. Je ne crois pas qu'il en existe de traduction. Il serait bienvenu que quelqu'un s'y attache, de préférence un kabbaliste et non un universitaire. J'avais proposé à quelqu'un de s'atteler à la tâche, mais la personne à abandonné. Ce que je comprends, car c'est un gros investissement de temps.

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