À l'occasion de la parution de mon dernier roman, "Le Kabbaliste et l'Orchidée", j'ai souhaité explorer le thème de l'île, ce lieu à la fois réel et symbolique. Ce récit s'inscrit dans le sillage de mon précédent ouvrage, "Aboulâfia, la Quête du kabbaliste". Y est narrée la vie en exil du Rabsa, Rabbi Abraham ben Samuel Aboulâfia, sur l'île de Comino. Initialement, j'avais imaginé ce kabbaliste éminent dans un havre méditerranéen paisible, propice à la méditation et à l'écriture de son œuvre maîtresse, le Séfér haOth, ainsi qu'à la fondation de son Gan Naôul.
Toutefois, des recherches ultérieures, et en particulier la découverte des écrits de Roger de Flore, un personnage évoqué dans le premier roman, m'ont révélé une réalité bien plus sombre. De Flore décrit l'existence précaire et tourmentée des exilés de l'île, marquée par la maladie et la famine. Cette révélation m'a conduit à me plonger dans la psyché du Rabsa, cherchant à comprendre comment ce mystique de renom avait pu vivre et transmettre son expérience spirituelle dans un tel contexte de dénuement.
Cette perspective nouvelle apporte une lumière différente sur son "Livre du Signe" (Séfér haOth). Ce texte révèle alors des allusions subtiles et témoigne d'un état d'esprit particulier, façonné par l'adversité. À travers mon roman, les paroles tirées de ce texte prennent une dimension nouvelle. Pour ceux familiarisés avec ma traduction du Livre du Signe, "Le Kabbaliste et l'Orchidée" offre un commentaire et un guide de lecture pour ce traité prophétique du Rabsa.
L'orchidée abeille, personnage central de ce roman, trouve également sa place dissimulée dans le "Livre du Signe". Sa présence tisse un lien entre la nature, la spiritualité et le mysticisme, renforçant l'idée que même dans les lieux les plus isolés et les plus rudes, la beauté et la sagesse peuvent s'épanouir.
Petite île petit mot
Le Rabsa se trouva en exil sur l'île de Comino, "i Qomtina" [אִי קוֺמְטִינָא] en hébreu. Dans cette langue, "i" [אִי], bien que le plus petit mot, ouvre un univers de significations. C'est un mot de deux lettres que les amateurs de mots croisés des journaux israéliens connaissent bien. Ce "i" hébraïque, au-delà de sa concision, évoque une négation, un refus, une absence. Le préfixe hébreu "i" est négatif indécis, illogique, impossible, irrationnel. On remarquera que ces quatre derniers mots commencent tous par un "i" en français. Cette coïncidence linguistique soulève une question : notre "i" français serait-il aussi un symbole de négation, un vecteur de solitude et d'exil ? La racine bilitère "i" [אִי] indique un objectif abstrait vers lequel tend la volonté.
Dans la Bible hébraïque, "éi" [אֵי] se transforme en interrogation : "Où se trouve-t-il ?". Ce mot résonne dans le célèbre échange entre Dieu et Caïn : "Yhwh dit à Caïn: 'Où est (éi) Abel ton frère ?' Il répondit: 'Je ne sais; suis-je le gardien de mon frère ?' (Genèse 4:9)." Curieusement, la Genèse n'évoque jamais une île isolée, mais plutôt des îles, "iyim" [אִיִּים]. Ce n'est que dans le Livre d'Ésaïe que l'on rencontre pour la première fois une mention explicite d'une île : "Traversez vers Tarsis, hurlez, vous, les habitants de l’île !" (Ésaïe 23:6).
Certains érudits avancent que le terme "i" pourrait dériver de "avi" [אֱוִי] qui est lieu où l'on s'abrite. Ou alors de אוה qui correspond à l'arabe āwā(y) – "il a cherché refuge, s'est mis à l'abri". Ainsi, אִי aurait originellement désigné "le lieu de refuge (du marin)". D'autres suggèrent qu'il pourrait s'agir d'un emprunt à l'ancienne langue égyptienne, où il désigne une île ou une côte.
Les deux lettres alef-yof, apparaissent parfois comme abréviation. Pour les kabbalistes, א״י, est Or Yashar [אֹור יָשָׁר], la Lumière directe – une lumière créatrice immanente qui descend dans les mondes supérieurs, afin de se revêtir des réceptacles des sefiroth. Dans les textes, cette lumière apparaît aussi sous l’abréviation או״י. C’est également le nom de la lumière qui anime les sefiroth linéaires, en opposition aux circulaires. Par ailleurs, l'abréviation א״י évoque également Éréts Israël [אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל], la Terre d'Israël.
Alef et yod permettent d'écrire simplement le nombre 11 [י״א]. Ce nombre, indivisible, reflète une dualité de 1 face à 1, une solitude et un isolement face à soi-même. Le 11 incarne la dualité de l'esprit et de la matière, symbolisant notre capacité à transcender cette dualité pour atteindre une réalité plus spirituelle.
Enfin, le nombre 11 possède une propriété mathématique particulière : lorsqu'il est multiplié par un nombre à deux chiffres, le chiffre intermédiaire est la somme des deux chiffres extérieurs. Ainsi, 11 x 21 = 231, où 2 + 1 = 3, ou encore 11 x 72 = 792, où 7 + 2 = 9. Cette caractéristique numérique peut être interprétée comme une métaphore de la façon dont les éléments distincts peuvent s'entrelacer pour révéler une unité plus profonde.
Dans la dimension mystique de la Kabbale, le nombre 11 [י״א] résonne avec une signification particulière. Il correspond à la guimatria des deux dernières lettres du Nom IneffableYhwh, c'est-à-dire Vav-Hé [ו־ה]. C'est ici que réside la clé d'un autre Nom, profondément ésotérique, forgé par le cercle médiéval des kabbalistes provençaux de Posquières (Vauvert). La découverte de ce Nom s'opère par l'association d'alef-yod et de vav-hé, engendrant le Nom Éhvi [אֶהויִ]. Ce Nom, invoqué par ce cercle, possède une valeur numérique de 22, un chiffre évocateur des 22 lettres de l'alphabet hébreu.
Ce cercle de kabbalistes s'appuyait sur deux Noms pour articuler leur compréhension du divin. D'une part, Ararita [אָרְאָרִיתָא], un acronyme de la phrase "Éħad Rosh Aħdotho, Rosh Yiħoudo, Temurato, Éħad" – "Un est commencement de son Unité, commencement de son Unicité, sa permutation est Un', évoquant les hauteurs célestes et la transcendance. D'autre part, Éhvi, pour sa part, était utilisé pour invoquer le monde inférieur, l'immanence divine dans le quotidien.
La dualité de ces deux Noms – Ararita et Éhvi – symbolise l'interconnexion entre le transcendant et l'immanent, entre le Ciel et la Terre, soulignant l'unité fondamentale de toute existence. Cette dualité reflète également le mystère inhérent au Nombre 11 [י״א] – un nombre qui, bien qu'indivisible, évoque une dualité profonde, un dialogue entre l'unicité et la multiplicité, entre la créature et la Création.
Commentaires
1 kennedy Le 17/01/2024
http://www.kountrass.com/stele-erigee-a-malte-a-memoire-rabbi-abraham-aboulafia-fondateur-de-kabbale-prophetique/
Trouné sur le net !
Georges Lahy Le 17/01/2024
2 kennedy Le 17/01/2024