Le monde, un vaste théâtre de désaccords. De la cacophonie des nations aux murmures discrets au sein d'un foyer, la discorde semble omniprésente. « Le monde entier est plein de discorde (maħloqéth) » [כָּל הָעוֹלָם מָלֵא מַחְלֹקֶת] (Siħoth HaRan, § 77), constate Rabbi Naħman de Breslev. Face à ce constat, comment trouver la paix, l'harmonie, la sagesse ? Après avoir consulté quelques textes de sagesse s’ouvre une voie, un cheminement intérieur pour transcender la discorde et embrasser une existence plus sereine.
La première étape, et peut-être la plus difficile, est de résister au bilboul [בִּלְבּוּל] (confusion). Les désaccords, même entre les plus sages, peuvent nous ébranler. Il est essentiel, nous dit l'enseignement, de ne pas laisser ces disputes miner notre foi. « Il faut faire très attention à ne pas se laisser troubler par les désaccords entre les Justes, mais croire en eux tous. » (Likoutéi Moharan I, § 5). La foi agit ici comme un ancrage, nous permettant de naviguer dans les eaux troubles du doute sans chavirer.
Mais la foi ne suffit pas. Elle doit s'accompagner d'un effort constant pour trouver le bien, même chez ceux qui s'opposent à nous. « Il faut toujours s'efforcer de chercher le mérite » (Likoutéi Moharan I, § 6). Juger favorablement, c'est choisir de voir l'étincelle divine présente en chaque être, malgré les imperfections et les divergences d'opinions. C'est construire un pont au-dessus du gouffre de la discorde.
Le « silence », paradoxalement, peut être une arme puissante contre la querelle. Face aux insultes et aux provocations, « entendre son opprobre et ne pas répondre » (Likoutéi Moharan I, § 82) devient un acte de sagesse, un choix conscient de ne pas alimenter les flammes de la colère. Ce silence n'est pas de la faiblesse, mais une force intérieure qui désamorce le conflit et préserve la paix.
L'enseignement nous invite également à une profonde introspection. La discorde extérieure est souvent le reflet d'une discorde intérieure. « La racine de la discorde vient de la faute de la foi dans les sages » (Likoutéi Moharan I, § 61). En examinant nos propres faiblesses, nos propres doutes, nous pouvons commencer à guérir les divisions qui nous entourent.
Enfin, n'oublions jamais que la vie est précieuse et le temps limité. Bekol yom haAdam méth, « à chaque jour l’humain meurt » (Siħoth HaRan, § 77). Gaspillons-nous notre énergie dans des conflits stériles ou choisissons-nous d'investir notre temps dans la recherche de la Paix, de la Sagesse et de l'Amour ? La Voie de la Sagesse est un cheminement constant, une quête d'harmonie au cœur même de la discorde. C'est en cultivant la patience, le jugement favorable et la foi que nous pourrons transformer le monde, en commençant par notre propre cœur.
Le mot « maħloqéth » [מַחְלֹקֶת] qui désigne la « discorde », le « désaccord », la « controverse », renferme en son sein un double enseignement, comme une graine de sagesse à découvrir. Si nous y discernons le terme ħéléq [חֵלֶק] (« part » ou « portion »), nous pouvons aussi y entendre la racine ħalaq [חָלַק], (« diviser » ou « partager »). Ce jeu étymologique ouvre un champ méditatif : la discorde n’est-elle pas, en un sens, une tentative déformée de réclamer sa part ? Chacun veut son dû, son territoire, ou même sa vérité absolue. Mais ce désir de posséder, quand il devient aveugle, crée des brèches au lieu de bâtir des ponts.
Pourtant, ħalaq [חָלַק] signifie aussi « lisser » ou « polir ». Cette polysémie est une clé : si la division est inévitable dans la pluralité humaine, elle peut être transformée. La Sagesse consiste alors à lisser les aspérités de nos désaccords, non pas en les niant, mais en apprenant à les apprivoiser, comme on polit une pierre pour révéler sa beauté intérieure. Ainsi, « maħloqéth » [מַחְלֹקֶת] peut devenir une opportunité : non plus un espace de confrontation destructrice, mais un terrain d’échange et de croissance, où chacun apporte sa part pour construire un tout harmonieux.
La guimatria 578 de « maħloqéth » [מַחְלֹקֶת], dévoile une profondeur insoupçonnée : la discorde agit comme un « levain » (maħmétséth [מַחְמֶצֶת] = 578), qui fait gonfler les égos et exacerbe les désaccords. Pris dans les filets de la controverse, chacun aspire à être appelé avec arrogance Kevod maâlato [כְּבוֹד מַעֲלָתוֹ] = 578, « Son Altesse », revendiquant un statut illusoire et refusant d'accepter la simplicité du « Monde tel qu’il est » (Havayoth haôlam[הֲוָיוֹת הָעוֹלָם] = 578).
Mais cette même valeur numérique porte un autre message, plus lumineux. Derrière les illusions de grandeur et les conflits surgit un potentiel de dépassement, une invitation au renouveau. Comme un cri en araméen : Tabitah, qoumi ! [טָבִיתָא קוּמִי], « Debout, c’est bon ! » (= 578). La discorde, lorsqu’elle est transcendée, devient un appel à se redresser, à renaître, et à transformer ce levain d’orgueil en pain de vie, nourrissant l’unité plutôt que la division.
Dans la Kabbale, la discorde (maħloqéth) peut être vue comme une sorte manifestation du Tsimtsoum, qui a laissé place à la pluralité et à l'apparente séparation dans le monde. Chaque individu, en revendiquant son « partiel », son ħéléq, perd parfois de vue l'unité originelle. Pourtant, les kabbalistes enseignent que le véritable défi de l'existence est de transformer cette fragmentation en harmonie, en retrouvant les étincelles dispersées de la lumière divine.
La controverse, lorsqu’elle est vécue avec sagesse, devient alors une danse entre les contraires. Isaac Louria enseignait que même dans le conflit, il y a un potentiel de Tiqoun (réparation). Cela exige de voir au-delà des apparences : derrière chaque maħloqéth se cache la possibilité d’unir les opposés, de dépasser le « moi » pour rejoindre le « toi ».
Ainsi, à travers le souffle des lettres et des chiffres, maħloqéth peut se transformer en un processus de réconciliation intérieure, un chemin vers le Shalom, la paix véritable, miroir de l’intégration harmonieuse des multiples.
Commentaires
1 BIJAOUI Sylvie Le 06/12/2024
En entrant dans le « guilgoul »
Le polissage pour la sagesse !
Alors polissons
Sans être polisson !
La foi dans toutes ses largesses !
Merci Georges pour cette voie/ voix manquante.