« Être triste est une perte de temps, alors que la Joie est une plénitude qui chevauche le temps »
La tristesse, êtsév [עֶצֶב], loin d’être une émotion passive, est le signe d’un exil de l’âme en guilgoul dans les profondeurs de Malkouth. En ce lieu, l’âme se sent alourdie par les limites du corps et des contraintes terrestres, et le temps devient un poids, une chaîne qui entrave la liberté intérieure. La tristesse n’est pas seulement une douleur : elle marque l’absence de la Ħédvah [חֶדְוָה], cette joie pure et sans cause, qui est la lumière véritable de la Shekhinah. Comme le dit le Séfér haZohar : « La Shekhinah ne séjourne pas dans un lieu de tristesse, mais dans un lieu baigné de Joie (Ħédvah) ! : s’il n’est pas de Joie, la Shekhinah ne réside pas dans un tel endroit. » (Zohar I-180b).
La tristesse retire la couleur, tsévâ [צֶבַע], qui est anagramme de êtsév [עֶצֶב]. Comme si la tristesse était une inversion de la couleur. De plus, comme l’indique la guimatria 162 d’êtsév, la tristesse retire le merveilleux de l’existence et rend la vie impossible, avec l’expression i-moufla [אִי מֻפְלָא], de même valeur. I-moufla sert à désigner l’impossible, mais signifie littéralement : « sans merveilleux ».
Mais au-dessus de Malkouth, il y a un axe lumineux qui appelle l’âme à s’élever. Cet axe mène à Tiféréth, la Sefirah de l’équilibre et de la beauté, où la joie (Simħa [שִׂמְחָה]) brille comme un pont entre le ciel et la terre. Simħa est une joie circulaire, un mouvement de renouvellement constant, nécessaire à la survie de l’âme dans les vicissitudes de l’existence. Elle est la joie de l’instant, celle qui trouve son énergie dans le flux du temps. Mais elle n’est pas encore Ħédvah, car elle dépend encore d’une cause.
Toutefois, la Simħah est pleine de promesses, car elle anagramme de mishħah [מִשְׁחָה], l’onction qui s’épanche de l’en haut. Sa guimatria 353, indique que cette onction de joie, avec sa fragrance et sa lueur « or, d’encens, myrrhe » (zahav levonah mor [זָהָב לְבוֹנָה מוֹר]) et la « lumière éternelle » (Or ôlam [אוֹר עוֹלָם]) issue du « Jardin de l’Éden suprême » (Gan haÊdén haêliyon [גַּן הָעֵדֶן הָעֶלְיוֹן]).
Ħédvah, en revanche, est la Joie qui transcende le temps, une plénitude absolue qui ne survit pas : elle vit ! Sa guimatria 23 le montre, car elle est aussi celle de ħayah [חַיָּה], la vitalité, mais aussi le nom d’une dimension suprême de l’âme. Cette Joie pure ne connaît ni conditions, ni fluctuations. Elle est une danse silencieuse dans l’éternité, un état d’être où le temps lui-même est absorbé dans l’Infini. Être dans la Ħédvah, c’est ressentir que la vie ne s’épuise jamais, qu’elle déborde de sens et de lumière.
Lorsque nous sommes joyeux, nous accédons à cette plénitude. Tiféréth devient alors un miroir qui reflète la lumière de la Ħédvah jusque dans les profondeurs de Malkouth, dissipant les ombres de la tristesse. C’est en cela que « la Joie est une plénitude qui chevauche le temps ». Elle ne s’y laisse pas enfermer, mais le traverse, le dépasse, et nous connecte à une réalité plus vaste où la Shekhinah demeure, rayonnante et présente.
La Joie n’est pas un simple état émotionnel, mais une force créatrice, une énergie lumineuse qui permet de dévoiler les mondes cachés. Elle est un Shefâ émanant de l’Éin-Sof, non soumise à la tyrannie du temps. Un présent continu, un cercle infini qui embrasse le passé et l’avenir. Elle est la danse de l’âme libérée des chaînes du Yetsér harâ, l’inclination au mal qui nous murmure des mensonges de limitations et de manques.
Être dans la joie, c’est comprendre que chaque moment contient l’infinitude, que chaque respiration peut être un pont entre notre réalité fragmentée et l’harmonie cosmique. C’est reconnaître que notre tristesse nous immobilise, tandis que notre Joie nous propulse, nous fait traverser les couches de la conscience comme autant de voiles à soulever.
Ainsi, choisir la Joie, c’est choisir l’ascension de l’âme. C’est comprendre que, là où la tristesse épuise le temps, la Joie en fait le socle d’un éternel recommencement. C’est ouvrir la Porte à la Lumière, et retrouver dans chaque instant l’éclat de l’Infini.
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1 Chantal Varin Le 30/11/2024