Le récit de la Reine Esther dans la Bible est source de nombreuses interprétations et semble intégrer des éléments mystérieux propres à la Kabbale. Le nom « Esther » [אֶסְתֵּר] évoque en lui-même l'idée de secret et d'ésotérisme, car il contient les lettres du mot hébreu « sétér » [סֵתֶר], qui signifie à la fois cachette, secret et mystère. Lorsqu'on le prononce « satar » [סָתַר], cela signifie contester ou réfuter. Nistar [נִסְתַּר] c’est être caché, être dissimulé, être invisible.
Il a été suggéré que le nom « Esther » pourrait être lié à Ishtar, la déesse babylonienne associée à la planète Vénus. Cette association est renforcée par le fait que l'oncle d'Esther – initialement appelée Hadassah [הֲדַסָּה] – porte le nom de Mordekkaï, qui fait écho à Mardouk, nom de la planète Mars, évoquant ainsi le mythe de Vénus et Mars. Le nom original d'Esther, Hadassah, qui dérive de « hadass » (le myrte, un arbre considéré comme sacré), peut aussi être lu à l'envers comme « ha-Sadah », signifiant « la secrète » ou « l'assembleuse ».
Les kabbalistes perçoivent dans le personnage d'Esther, dont le visage est voilé, une représentation dissimulée de la Shekhinah, présente dans les profondeurs du royaume, dans l'obscurité de la sefirah Malkouth.
La Méguilah d'Esther est un texte d'une grande profondeur qui invite à une exploration minutieuse et à l'étude des mystères qu'elle renferme.
Parmi les nombreuses facettes enseignées par Esther, j’ai choisi de contempler ici la plus humble, celle qui exprime la « messirouth Néfésh » [מְסִירוּת נֶפֶשׁ], que l’on peut traduire, par « don de soi », ou encore : abnégation, dévouement, dédicace de son âme. La messirah [מְסִירָה] est une remise, une transmission. Littéralement, la « messirouth Néfésh » et une « remise d’âme ».
Le don de soi est une qualité essentielle qu'Esther enseigne par l’exemple, son abnégation peut être interprétée comme un acte d'union entre le fini et l'Infini, où elle sert de canal pour la réalisation de la Volonté divine dans le monde. Dans cette perspective, le don de soi d'Esther peut être vu comme une forme de méditation active où elle s'aligne avec les forces divines pour apporter la délivrance à son peuple.
Esther, en se présentant devant le roi sans y être invitée, risque sa vie pour le bien de son peuple. Ce faisant, elle incarne la sefirah de Malkouth, qui personnifie la Shekhinah, la Présence divine dans le monde et l'acceptation du Ratson (Volonté divine).
Son acte de bravoure peut être vu comme une expression de la foi et de la confiance en la Hashgaħah [הַשְׁגָּחָה] (Providence divine), qui est souvent cachée, comme dans le miracle ésotérique du récit d'Esther, où l'intervention divine n'est pas ouvertement manifestée mais agit à travers les événements naturels.
En termes kabbalistiques, on pourrait dire qu'Esther manifeste le principe de « messirouth néfésh » en s'identifiant pleinement avec le Ratson, en mettant de côté son propre bien-être pour servir de Merkavah à l’Infinie-Lumière (Éin-Sof-Or) dans le monde. Elle devient ainsi un exemple de la capacité humaine à agir en tant que partenaire de l’Être infini dans le processus de Réparation (tiqoun) du monde. Cette connexion ouvre un canal direct, permettant un échange sans intermédiaire entre Kéter et Malkouth. C’est le sublime « Kéter-Malkouth » que la reine déchue Vashti refusa à Assuérus, initiant l’avènement de la Reine Esther.
La guimatria enseigne que ces canaux de connexion entre le fini et l’Infini dépendent exclusivement de la qualité du « Don de soi », car « messirouth Néfésh » [מְסִירוּת נֶפֶשׁ] vaut 1146, comme tsantroth [צַנְתְּרֹות], les conduits, les canaux. De plus, 1146 est le nombre de haKéter hameloukah haqadosh [הַכֶּתֶר הַמְּלוּכָה הַקָּדוֹשׁ] (la Couronne de sainte royauté), plus simplement : le Kéter-Malkouth, de celui qui « siège dans le mystère suprême » (yoshév besétér êliyon [יוֹשֵׁב בְּסֵתֶר עֶלְיוֹן] - Psaumes 91:1)
Ces connexions déterminées par la qualité du « Don de soi » tissent la Splendeur du Kéter Malkouth (Zohar meKéter-Malkouth), et révèlent les liens qui forment l’Intellect, l’intellectuel et l’intelligible. C’est pourquoi, 1146 est également la guimatria de « Sékhél maskil mouskal » [שֵּׂכֶל מַשְׂכִּיל מְוּשְׂכָּל] (Intellect, intelligeant, intelligible), ce trio de termes chers à Abraham Aboulâfia est constitué de : « Sékhél » [שֵּׂכֶל], que l’on traduit couramment par « intellect », mais qui est mystiquement la « Conscience qui englobe le tout », telle la sefirah Kéter. « Maskil » [מַשְׂכִּיל] est l’intellectuel, mais qui chez les kabbalistes est un initié, un sage kabbaliste, qui fait le lien entre le fini et l’Infini, la Shekhinah et son Époux céleste, telle la sefirah Tiféréth. « Mouskal » [מְוּשְׂכָּל] est l’intelligible, le concept logique, l’aspect concret de la divinité dans le monde, telle la sefirah Malkouth. Connexions que seule la « messirouth Néfésh » permet, en remettant son âme au service de la Volonté suprême.
Cette année (2024), alors que la célébration d'Esther coïncide avec l'équinoxe de printemps, nous sommes invités à méditer sur cette merveilleuse qualité de la « messirouth Néfésh », la remise d'âme. C'est l'occasion de réfléchir à notre propre capacité à agir en tant que partenaires de l'Être Infini dans le processus de « Réparation (tiqoun) du monde ». En nous donnant à nous-mêmes et aux autres, nous ouvrons un canal direct, permettant un échange sans intermédiaire entre Kéter et Malkouth, entre le divin et le terrestre. Dans le silence des étoiles, sous le voile de la nuit qui enveloppe le monde de son mystère, la fête d'Esther nous invite à une contemplation profonde, à un voyage intérieur vers l'essence même de notre être. C'est un moment privilégié pour éveiller en nous le noble sentiment du « Don de soi », cette force intérieure qui guide nos pas vers la Sagesse, la Paix et l'Amour.
La reine Esther, par son courage et son abnégation, nous enseigne que le véritable pouvoir réside dans la capacité de se donner sans attendre en retour, de risquer sa propre vie pour le bien-être d'autrui. Son histoire, tissée de mystères et de symboles, est une source d'inspiration pour tous ceux qui cherchent à transcender leur condition humaine et à s'aligner avec le Ratson êliyon, la Volonté universelle.
Le Don de soi, tel que vécu par Esther, est une méditation active, un alignement avec les forces suprêmes pour apporter la délivrance à son peuple, c’est-à-dire les âmes en Guilgoul.
En cette période de célébration, que cette méditation nous inspire à répandre la Sagesse, la Paix et l'Amour dans notre entourage et au-delà, en harmonie avec la Volonté universelle. Que l'exemple d'Esther nous guide vers une vie empreinte d'abnégation et de dévouement, pour le bien de tous les êtres.
Puissions-nous, à l'image d'Esther, devenir des canaux de Lumière et d'Amour, des instruments de l’Infinie Lumière, œuvrant ensemble pour la Réparation du monde, pour un monde plus juste, plus aimant et plus paisible.
Commentaires
1 Banshee Le 18/03/2024
Merci Georges
2 Calvo Maryse Le 18/03/2024
Merci pour ce merveilleux texte qui irradie la Lumière.
3 שלום Le 20/03/2024
4 Planchais Le 22/04/2024
La logique peut-elle mener à la sagesse de l'initié, ou le Shefa s'écoule-t-il toujours de Kéther vers Malkouth?