Atha, selon M. Chouchani

Georges Lahy Par Le 11/03/2024 2

Atha, le "Toi" de l'Univers

Monsieur Chouchani est une figure emblématique et énigmatique de la pensée juive du XXe siècle. Né à la fin du XIXe siècle, ce philosophe et talmudiste d’exception n’a laissé aucun écrit, à part des carnets récemment découverts et difficiles à déchiffrer. Ses enseignements ont profondément influencé ses disciples, dont les célèbres penseurs Emmanuel Levinas et Elie Wiesel. Reconnu pour son érudition et la maîtrise d’une trentaine de langues, Chouchani avait une connaissance encyclopédique s’étendant de la tradition juive aux sciences telles que l’optique, l’astronomie et l’électricité.

Les précieux cahiers de Chouchani, confiés à la Bibliothèque nationale d’Israël, sont désormais accessibles en ligne. Ces documents en hébreu, qui restent un défi à interpréter, renferment ses pensées sur des sujets variés : la pensée juive, y compris la Bible, le Talmud et la Kabbale, ainsi que les mathématiques, l’astronomie, la physique, les sciences naturelles et l’histoire.

Cahiers Chouchani


Atha, le « Toi » suprême

Un commentaire de Shemoth 20:10 par M. Chouchani

Dans le cahier 1CH15, M. Chouchani note une réflexion des plus intéressantes et très originale concernant le mot « atha » [אַתָּה]. S’appuyant sur le fait que la mention « femme » (ishah [אִשָּׁה]) est absente du verset Exode 20:10.

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וְיוֹם הַשְּׁבִיעִי, שַׁבָּת לַיהוָה אֱלֹהֶיךָ; לֹא־תַעֲשֶׂה כָל־מְלָאכָה אַתָּה וּבִנְךָ־וּבִתֶּךָ, עַבְדְּךָ וַאֲמָתְךָ וּבְהֶמְתֶּךָ, וְגֵרְךָ אֲשֶׁר בִּשְׁעָרֶיךָ׃

« Le septième jour, shabbath pour Yhwh, ton Élohim, tu ne feras aucun ouvrage, toi (atha), ton fils, ta fille, ton serviteur, ta servante, ta bête, ton étranger qui est en tes portes. »

Le verset en question se trouve dans les instructions relatives au Shabbath. Il énumère des paires : « ton fils, ta fille », « ton serviteur, ta servante », « ta bête, l’étranger ». Cette liste de paires masculines et féminines commence par le mot « Atha » (Toi), qui en hébreu désigne clairement le genre masculin, représentant ici le père de famille et le maître de maison. En hébreu, « atha » est exclusivement le pronom personnel « tu » au masculin, tandis que le féminin est exprimé par « ath » [אַתְּ]. Chouchani remarque que le terme « ath » ou « ishtekha » [אִשְׁתֶּךָ] (ta femme) est absent, alors que le texte fait une distinction nette entre les genres masculin et féminin. On aurait pu s’attendre à la formule « Atha ve-ishtekh'a » [אַתָּה וְאִשְׁתְּךָ] (Toi et ta femme), comme on le voit par exemple dans Genèse 8:16 : « Sors de l’arche, toi et ta femme, tes fils et les femmes de tes fils avec toi ».

À première vue, dans le commandement du Livre de l’Exode, la femme – en tant que mère et maîtresse de maison – semble être omise. Est-ce un signe de mépris, une omission involontaire ou une négligence ? Chouchani s’interroge sur cette absence notable de la femme dans un texte aussi fondamental, il écrit que : « ’ta femme’ a disparu et nous observons ensuite une égalité totale entre masculin et féminin, nous pouvons en apprendre davantage sur l’égalité entre l’homme et la femme ». Il suggère que l’absence de la mention de « ta femme » pourrait en réalité révéler une égalité totale entre les sexes, ce qui semble paradoxal au vu de la formulation de la Torah, qui paraît s’adresser uniquement à l’homme : « atha ». Comment l’absence de la mention explicite de la femme pourrait-elle alors signifier une égalité entre l’homme et la femme ?

M. Chouchani propose une interprétation audacieuse en affirmant que : « mâle et femelle sont égaux, ‘atha’ symbolise la génération des récipiendaires la Torah ». Par cette déclaration, Chouchani suggère que, dans le contexte de la Torah, le terme « atha » englobe à la fois le masculin et le féminin. Il nous présente ainsi une perspective innovante qui remet en question la compréhension traditionnelle de nombreux versets. Cette approche modère la vision des commentateurs religieux qui considèrent l’époque biblique comme essentiellement masculine et patriarcale, où la Torah s’adresserait exclusivement à l’homme adulte, marquant une distinction dans les obligations entre hommes et femmes. Chouchani, à travers cette lecture, invite à reconsidérer l’égalité des genres dans l’engagement envers les enseignements de la Torah.

Monsieur Chouchani base son affirmation selon laquelle le terme « atha » dans la Torah fait référence à la fois à l’homme et à la femme sur une analyse détaillée du texte. Il souligne que le verset mentionne explicitement les fils et les filles, les serviteurs et les servantes, ainsi que l’étranger, sans distinction de genre pour ce dernier, comme il le note entre parenthèses : « il n’y a pas de différence entre mâle et femelle pour ’l’étranger’ ». De ce fait, le verset traite les hommes et les femmes de manière équivalente en utilisant le même terme.

Monsieur Chouchani se réfère également aux commentateurs classiques de la Torah, tels que Rashi, Rambam et Ibn Ezra, qui ont questionné la raison pour laquelle la Torah spécifie « tes fils et tes filles » au lieu d’utiliser une formulation plus concise comme « tes enfants », selon la formulation laconique habituelle de la Torah. Cette interrogation fait se demander pourquoi la Torah fournit ici de tels détails. Les commentateurs ont expliqué que ces détails visent à souligner les responsabilités parentales. Monsieur Chouchani résume cette interprétation en écrivant que les parents doivent « s’occuper d’eux ».

Monsieur Chouchani adopte une méthode d’interprétation qui évoque celle des Tanaïm, les sages de la Mishnah. Dans le verset analysé, le terme « atha » introduit la liste sans faire de distinction entre l’homme et la femme. Cette liste se termine par le mot « guér » (étranger), qui désigne généralement un homme adulte. À la manière des Tanaïm, Monsieur Chouchani soutient que cette construction, où le masculin est utilisé en ouverture et en clôture du verset sans différenciation de genre, alors que la distinction apparaît au centre, implique que les termes « atha » et « guér » englobent à la fois l’homme et la femme. Ces derniers sont considérés comme égaux parmi les générations ayant reçu la Torah.

Pour Chouchani, les « générations des récipiendaires de la Torah » ne représentent pas une séquence chronologique, mais plutôt un état d’esprit ou de conscience. Il propose que le mot « atha » dans la Torah s’adresse à quiconque est réceptif à la Parole divine, indépendamment du genre. Selon lui, la capacité d’entendre la Voix divine ne repose pas sur le sexe de l’individu, mais sur la pureté de son cœur. La Parole divine ne résonne qu’en celui ou celle dont le cœur est suffisamment pur pour l’accueillir, sans distinction entre homme et femme.

Cette interprétation constitue une innovation dans la lecture de la Torah, car elle offre une vision religieuse progressiste (ou de retour à la source) qui reconnaît l’égalité des sexes dans la vie spirituelle, sans pour autant ôter ou ajouter une lettre au texte sacré.

Remarque sur le mot atha

Lorsqu’on examine le terme « atha » à travers le prisme de sa forme araméenne, on découvre une dimension prophétique, un écho du Monde-à-Venir (Âlma datéi [עָלְמָא דְאָתֵּי], ath étant ce qui vient, à venir). Les lettres aléf (א) et tav (ת), lorsqu’elles sont associées, forment un « signe » (ath) qui transcende la simple « lettre » (oth). Cette combinaison symbolise l’union de la première et de la dernière lettre de l’alphabet hébreu, évoquant ainsi un cycle complet, de l’origine à la fin.

De la même manière que le terme « éth » [את] dans la Genèse marque « le signe des cieux et le signe de la terre » (éth hashamayim veéth haaréts), « atha » peut alors être interprété comme le « signe de l’être » (et pourquoi pas le "signe de lettre"). Cet « être » peut être compris à la fois comme l’individu, englobant masculin et féminin, et comme l’Être divin lui-même. C’est dans cette perspective qu’il convient d’aborder le « Atha » utilisé dans les prières (comme dans Atha guibor … ou Barouk’h Atha … etc.). Ainsi, le « Atha » de l’Être infini embrasse à la fois le masculin et le féminin, représentant l’Être sans distinction : Yhwh.

Cette interprétation enrichit notre compréhension de la Torah, en soulignant que le divin, ainsi que l’essence de chaque individu, transcende les distinctions de genre, nous invitant à percevoir l’unité fondamentale de toute existence.


Mais peut-être M. Chouchani a-t-il étudié et médité les écrits de Joseph Gikatilla. Dans ses Shaâréi Orah, Gikatilla enseigne que Atha est une des appellations de la Sefirah Tiféréth, qui par sa place médiane réunit en son sein le masculin et le féminin. Il écrit : « La structure de chaque Merkavah, le mystère du mâle et de la femelle, est en rapport avec toutes les combinaisons et les permutations des vingt-deux othioth, cachées à l’intérieur du mystère de ‘Atah’, qui contient le commencement et la fin de toutes les lettres et de toutes les Merkavoth. C’est pourquoi il est écrit dans le Séfer Yétsirah : “La fin est attachée au commencement et le commencement est attaché à la fin, telle la flamme attachée au charbon” (S.Y. 1 :7).

« Atha, Lui (Hou), gouverne les mondes inférieurs et supérieurs, Atha est Hou (Lui) et nul ne te ressemble. »

Commentaires

  • kennedy

    1 kennedy Le 12/03/2024

    Bonjour.
    Mar Chouchani, guématriah : 240 et 666 . Soit 906 .
    Voir sur Wikipédia de bonnes infos !
    Voir aussi sur Arté : "The lost ones " : "Monsieur Chouchani " . Doc de six minutes .
    Voir aussi sur Youtube : "M.Chouchani : Mentor des mentors , avec Sandrine Szwarc " .
    Edifiant ! !
  • NEETI

    2 NEETI Le 21/03/2024

    J'aime bien le fait que lorsqu'on parle du Divin et de l'essence d'un être cela transcende la différence de genre

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